14. Souvenirs de vies antérieures japonaises

 

Des perceptions toujours plus persistantes

On l’a vu, Laura a été attirée depuis toute petite par le Japon et certains de ses comportements étaient étonnants. En outre, même très jeune, elle se réveillait souvent le matin avec des impressions fortes et désagréables auxquelles s’ajoutaient de courts flashs qu’elle n’arrivait pas à interpréter. Combien de fois m’en a-t-elle parlé, sans que je puisse l’aider à comprendre ses sensations ? Elle gardait surtout des mémoires corporelles, sachant que faire dans telle ou telle situation.

Dès notre arrivée à Payerne, alors qu’elle a 11-12 ans, ses mémoires nippones remontent de plus en plus fortement à la surface. Elle se souvient avoir été une épouse japonaise durant la période Asuka (550-710). Une existence dramatique durant laquelle elle perd son mari et son fils aîné à la guerre, puis son petit garçon par maladie. Seule survivante de sa famille, elle se suicidera peu après en forêt.

Mais elle est surtout envahie par les souvenirs d’un samouraï vivant à cheval entre les époques Sengoku et Edo. Un personnage qui est aussi à la tête d’un « dojo-monastère ». Les mémoires apparaissent tout d’abord par rêves. Laura se réveille en sueur et se sent mal après des visions de viols et de tortures. Ces images sont quelque chose de très difficile à intégrer pour la jeune ado qu’elle est.

Ensuite, elle a les images du « démon au sang rouge » (elle-même prise de folie meurtrière), de champs de bataille et de la mort de son père adoptif tant aimé. Les souvenirs les plus traumatisants sont les premiers à affluer. Les souvenirs plus agréables n’apparaissent qu’ensuite.

 

Les doutes

Face à tous ces souvenirs, je me demande évidemment si Laura n’a pas pu piocher les informations quelque part. Mais extrêmement dyslexique, elle est incapable de lire le moindre livre sur le Japon et certainement pas un gros ouvrage historique. Quant aux vidéos, là aussi, c’est impossible. D’une part parce qu’elle me parle de choses que l’on ne trouve pas en ligne, d’autre part, parce qu’elle met immédiatement en avant, dans le quart de seconde, les erreurs qu’elle perçoit dans les films sur « son époque ». Elle y ajoute même tout de suite les correctifs et d’innombrables anecdotes. Je constate par ailleurs que de très nombreux faits que je pensais être faux dans ses récits initiaux me sont par la suite confirmés par des recherches plus poussées. C’est vraiment surprenant.

Laura, elle, sait viscéralement que toutes ces images qu’elle a en tête sont réelles, mais en même temps, elle ne peut pas s’empêcher de s’interroger. Elle finit par me confier un jour qu’il faudrait l’enfermer, parce que ce qu’elle perçoit n’est pas normal. Tout cela est très difficile à vivre. Il y a surtout ce décalage abyssal entre ses mémoires et notre époque actuelle dans laquelle elle se sent profondément mal à l’aise. Plus encore, il y a ce fossé monstrueux entre ses souvenirs de samouraï petit, agile et en pleine forme et son corps présent gonflé et malade. C’est un cauchemar à vivre.

Il y a aussi toutes ces douleurs inexplicables qui collent parfois étrangement avec les souvenirs d’anciennes blessures. Nous voyons même apparaître des traces physiques sur son corps, comme ces marques rondes sur les cuisses et les mollets semblables à celles provoquées par les bourreaux de l’époque avec des aiguilles chauffées à rouge pour traverser les membres.

Laura ose à peine parler de tout cela. Lors de son premier contact avec Claude Charles Fourrier et Sylvie Déthiollaz, elle ne l’abordera pas. Ses souvenirs lui semblent tellement extraordinaires, qu’elle a de la peine à y croire elle-même. Puis, un peu plus en confiance, elle m’en fait le récit pour que je le transmette à ISSNOE.

Comme je l’ai fait avec Samantha, je prends note de son témoignage. Il cumule aujourd’hui plus de 170 pages A4, racontant une existence rocambolesque durant cette période de pacification du Japon. Un récit qui décrit aussi en détails la vie quotidienne au cœur des terres nipponnes telle qu’elle se souvient l’avoir vécue entre environ 1540 et 1620. Lorsque je transmets en janvier 2017 le tout premier volet de ces mémoires à Claude Charles Fourrier et à Sylvie Déthiollaz, je ne pense pas qu’ils s’imaginent recevoir les premiers chapitres d’un roman fleuve!

Le 16 mars 2017, Laura leur parle enfin directement de cette existence de samouraï. Ils sont parmi les très rares à être dans le secret. Mais Laura reste toujours mal à l’aise face à ce récit et à cette montagne de souvenirs d’un autre temps.

 

Une identité qui fait écho

En mai 2017, Laura est très démoralisée. Entre ses problèmes de santé, l’absence de travail et sa dépendance financière à notre famille, elle cherche du sens à son existence. Elle se demande une fois encore si toutes les images qu’elle a en tête ne sont pas issues d’une imagination débordante ou, pire, d’une pathologie quelconque. Je me dis finalement que le meilleur moyen de lui redonner du courage est peut-être de trouver une confirmation historique de son récit de samouraï.

Si mes recherches n’ont rien donné toutes les fois précédentes, cette fois-ci est totalement différente. Je dois avoir une bonne « aide extérieure » dans mes investigations, puisque chaque page ouverte sur internet me donne un message de « bonne piste » ou « mauvaise piste ». J’ai l’impression de refaire ces jeux d’enfants où un camarade cachait quelque chose que nous devions trouver en suivant ses indications « chaud », « bouillant », lorsque nous étions tout près du but ou « froid »,« glacé » lorsque nous nous en éloignions.

J’ai alors l’intuition de ne plus chercher, comme je le faisais auparavant, en utilisant des mots clés ayant pour référence l’histoire des samouraïs et l’histoire du Japon. Je me concentre à la place sur le lieu où Laura se souvient avoir vécu durant son ancienne existence. C’est-à-dire tout au nord de l’île d’Honshu ou tout au Sud de l’île d’Hokkaido.

Et c’est le soulagement. Je tombe sur le nom d’un personnage historique japonais dont plusieurs éléments de vie semblent coller d’assez près au récit que Laura m’a fait. De nombreux détails sont même bluffants comme le fait qu’il se venge à l’âge de 14 ans du clan adverse responsable de la mort de son père (adoptif). Le fait qu’on attribue à cet individu deux lieux de naissance éloignés géographiquement et deux dates de naissance différentes, des éléments dont Laura m’avait parlé en détails, est une confirmation supplémentaire.

On dit aussi qu’il y a plein de récits légendaires sur la vie de ce personnage. Ils sont trop hasardeux pour qu’on puisse en tenir compte et pourtant Laura m’explique sans cesse depuis le début que, déjà durant sa vie de samouraï, on pensait qu’elle était un yokaï, un esprit de la nature, tant ses agissements étaient particuliers. Sans oublier qu’elle se souvient avoir alors eu un très petit gabarit, une très grande souplesse et beaucoup de force, ce qui n’était pas courant à cette époque. Dans ses souvenirs, ce personnage possédait surtout une habileté hors-norme au combat due à un nombre incommensurable d’heures d’entraînement depuis l’âge de sept ans. Autant d’éléments qui renforcent l’aspect légendaire.

Alors que cela n’a jamais été le cas jusqu’à présent avec tous les autres individus que je lui ai présentés, Laura s’identifie cette fois immédiatement au prénom et au nom de ce personnage historique en y apportant cependant de très légères modifications. Elle reconnaît surtout instantanément l’emblème de la famille et énonce immédiatement sa signification.

Elle est certaine d’avoir été dans cette autre vie Shizaki Shingenobu (Hayashizaki Schigenobu dans les livres), l’inventeur de l’iaido, l’art du sabre. J’en suis moi-même d’autant plus persuadée qu’elle m’avait expliqué longuement certaines caractéristiques totalement personnelles qu’elle avait inventées dans le maniement du sabre qui collent de très près aux écrits sur Hayashizaki. Avant ce jour, ni Laura, ni moi, n’avions jamais entendu parler de ce personnage historique, ni même de son art.

Pour confirmer nos soupçons, nous regardons ensemble des démonstrations d’iaido sur internet. Laura m’affirme avoir les yeux écorchés en voyant des occidentaux le pratiquer. Pour elle, il faut être ou avoir été japonais pour y parvenir. Mais elle m’étonne surtout lorsque nous lançons une courte vidéo avec un professeur d’iaido japonais. Laura indique les erreurs de l’élève et comment les corriger avant que le professeur ne les montre. Ça la rassure.

Claude Charles Fourrier et Sylvie Déthiollaz sont les premiers informés de notre découverte. La confiance de Laura grandit au fur et à mesure des confirmations. Cela lui fait du bien, mais la frustre en même temps. Pas facile d’avoir en permanence les souvenirs d’un athlète hors-norme ayant une maîtrise totale de son art martial tout en étant dans un corps malade à des années-lumières de l’image intérieure qui l’habite.

 

Cours d’iaido

Je décide d’en avoir le cœur net. En 2017, nous rencontrons un professeur d’iaido du canton de Fribourg sans lui dire, évidemment, les soupçons que nous avons sur le nom de l’ancienne personnalité de Laura. J’observe mon aînée prendre naturellement la posture du maître, assise sur un pouffe, jambes écartées, mains posées sur les cuisses, coudes vers l’extérieur du corps. Elle ne réalise pas. Quant au professeur, il dit à plusieurs reprises que la façon de parler de Laura lui rappelle son maître. Il répète aussi que ma fille a saisi l’essence des arts martiaux, ce qui est quasiment impossible pour une personne n’ayant jamais pratiqué d’iaido et qui a seulement suivi quelques cours découverte en divers arts martiaux.

Poussée par cet enseignant, Laura accepte de suivre quelques cours d’iaido. Durant les rencontres, elle constate que ses mains se posent automatiquement au bon endroit sur le manche du sabre. La mémoire corporelle est là, même si ses articulations sont très fragilisées. Il est vrai que peu de temps auparavant, elle était en chaise roulante. Son regard et son énergie changent immédiatement lorsqu’elle a l’arme en main. A ses yeux, durant l’entraînement, le sabre en bois est un vrai sabre. Elle visualise une lame et l’énergie passe jusqu’au bout. Elle a la posture de quelqu’un qui a manié l’arme depuis longtemps. Des camarades avancés ne semblent pas comprendre ce qu’il se passe avec elle. Comment une débutante peut-elle être comme cela ?

Laura est surtout surprise de l’évolution de l’iaido. Elle a le sentiment qu’on fait aujourd’hui des mouvements sans en saisir la signification et certains gestes semblent avoir changé pour ne plus avoir la moindre logique. L’art a, à ses yeux, énormément perdu en efficacité. Elle est aussi surprise qu’on laisse les élèves progresser alors que les mouvements de base ne sont, selon elle, pas parfaitement acquis.

Après quelques cours « découverte », l’état de santé de Laura chute à nouveau et elle doit stopper définitivement. Elle n’en est pas triste. Elle préfère garder intacts les mouvements qui habitent sa mémoire sans être court-circuitée par les gestes d’aujourd’hui. Elle est surtout très dubitative sur ce qu’est devenu l’iaido. Elle estime que certains mouvements mettent la personne en déséquilibre et d’autres sont totalement inefficaces. Elle ne comprend pas.

 

La cérémonie du thé

Le 1er mars 2018, Laura découvre un documentaire sur la cérémonie du thé : elle en est tellement choquée, qu’elle descend me voir alors que je me prépare à aller me coucher. Elle est presque en état de choc. Nous regardons ensemble la vidéo qui dure 26 minutes, mais dont nous n’achèverons le visionnement que plus de deux heures plus tard, tant il y a d’interruptions pour explications. J’essaie de noter un maximum d’éléments au fur et à mesure, mais elle parle tellement vite que j’ai de la peine à suivre. Laura saute au plafond, pointant du doigt nombre de détails, y voyant des gestes inutiles, des problèmes d’hygiène et un manque de respect pour les invités.

En même temps que nous regardons la vidéo, Laura ne cesse de me montrer comment il faudrait faire correctement chaque geste. Je suis époustouflée ! Ses mouvements sont bien plus précis et infiniment plus harmonieux que ceux des femmes présentées comme des praticiennes renommées dans l’art de la cérémonie du thé. Sa manière de marcher en mimant des déplacements en kimono est aussi incomparablement plus fluide que celle des femmes présentées sur les vidéos. Clairement, ce que me montre Laura est trop éloigné de ce que font les spécialistes pour qu’on puisse imaginer une seule seconde qu’elle recopie ce qu’elle a pu voir. Mais, surtout, ses mouvements sont beaucoup trop naturels. Il faudrait des années pour parvenir à ce niveau-là, surtout pour une occidentale ne baignant pas dans la culture japonaise. C’est pour moi, la preuve indéniable qu’elle a en elle une mémoire venant du pays nippon.

Tout cela rassure énormément Laura sur la réalité de ses souvenirs. Elle rêve aujourd’hui de pouvoir valider ses connaissances auprès de spécialistes. Elle aimerait aussi montrer les mouvements de danse qu’elle a en tête, tout en constatant à regret que les « danses traditionnelles japonaises » présentées aujourd’hui sont bien plus récentes que les danses qu’elle a en tête. A l’heure où j’écris ces lignes, aucun spécialiste de l’art du thé n’a accepté de rencontrer ma fille. La demande était sans doute trop choquante.

 

Rencontre avec un maître

Mai 2018, nous avons le grand bonheur de pouvoir rencontrer un maître d’iaido de réputation internationale, ainsi que son bras droit. Jamais nous ne dirons assez notre reconnaissance d’avoir pu obtenir ce rendez-vous malgré l’étrangeté de notre demande. Évidemment, là aussi nous ne disons rien sur nos soupçons concernant la personnalité antérieure de Laura. Les choses sont déjà suffisamment bizarres comme cela.

Nous nous retrouvons dans un premier temps dans la salle de sport qui permet de donner les cours. Laura fait une présentation de quelques minutes des mouvements dont elle se souvient avec un sabre en bois . Quelques enchaînements rapides, la rapidité étant le signe d’un certain niveau de maîtrise, et des changements de main. A l’issue de sa démonstration, elle est frustrée de ne pas avoir pu être aussi vive et précise que dans ses souvenirs, son état de santé, en particulier une tendinite chronique qui s’est réveillée au bras droit, ne le lui permettant pas d’en faire plus. Le spécialiste ne réagit pas à ce qu’il voit, nous laissant perplexes. A la place, il nous montre des mouvements de combat avec des armes qui s’étalent entre les années 1300 et 1800. Une manière détournée de confirmer les dates que nous avions données : entre 1500 et 1600.

Un élément nous rassure durant la leçon qui nous est donnée : c’est le fait que nous découvrons qu’il y a deux écoles dans l’art du sabre : une où l’on forme un carré entre ses pieds posés parallèlement qui est celle du Sud du Japon et une autre école où l’on forme un triangle avec les pieds à l’équerre qui se trouve au nord du Japon. Laura a toujours parlé de cette position-là et c’est aussi le seul élément avec lequel elle était à l’aise durant les cours d’escrime qu’elle avait suivi dans le cadre scolaire. Et Shizaki dans ses souvenirs a bel et bien grandi au nord du Japon.

Nous allons ensuite tous les quatre manger au restaurant. Laura parle pour ainsi dire non-stop pendant tout le repas (soit entre 20h et 23h !), à tel point que nous devons la « gronder » pour qu’elle avale ce qu’il y a dans son assiette.

Une des grandes questions de ce spécialiste est de savoir depuis quand Laura a ses souvenirs. Elle lui parle des sensations, des émotions et des ressentis sans réelles images qu’elle avait lorsqu’elle était enfant. Puis elle explique que les souvenirs physiques sont venus peu après, comme de sentir un bras qui tremble de fatigue après avoir combattu durant des heures avec la sensation d’avoir le sang qui coule sur les mains et sur le corps. Elle dit ensuite qu’elle a perçu des images floues : des routes boueuses, des marchands avec des gros paniers qui portaient les vestes traditionnelles et qui avaient leur hakama relevé, coincé dans la taille.

Laura parle aussi de ses réactions lorsqu’elle était enfant : la peur de tuer ses camarades, les jeux de guerre, sa capacité à se soigner dans la nature. Elle explique au maître d’iaido pourquoi elle se battait alors : « Forcer l’ennemi à abandonner le combat ». Elle dit encore l’importance que la vie revêtait à ses yeux.

Quand le repas est bien entamé, nous finissons par poser la question qui nous brûle les lèvres : est-il possible de manier le sabre comme l’a fait Laura en ayant suivi en tout et pour tout une dizaine de leçons de maniement d’armes réparties sur plusieurs années (elle avait aussi fait quelques cours découvertes de Yoseikan Budo), ainsi qu’en ayant regardé quelques films. Pour nos deux interlocuteurs, c’est « indéniablement impossible ».

Le bras-droit nous dit même : « Imaginons que tout ça, ce ne sont pas des souvenirs de réincarnation, cela veut dire que Laura aurait la capacité de se mettre dans la peau d’une époque et d’un personnage historique quasiment immédiatement, ce qui serait serait déjà un don ». Laura est très marquée par cette formulation qui dit « imaginons que ce ne sont pas des souvenirs d’une autre existence » et non « Imaginons que ce sont des souvenirs d’une autre existence ». Il y a alors comme une certitude de la réincarnation qui la rassure, surtout quand elle provient de spécialistes de cette trempe.

Parlant d’armes et de combat, les deux hommes sont troublés par la capacité que possède Laura à donner nombre de détails qu’on ne peut connaître qu’avec l’expérience du terrain. Bref, lorsque nous nous quittons, ils nous disent qu’ils ont trouvé Laura très impressionnante. En observant ma fille parler face aux deux hommes, je remarque de mon côté sa métamorphose : elle a une attitude posée, le dos très droit. Son vocabulaire change beaucoup. Il est riche et elle fait des phrases très élaborées, comme si elle était de nouveau cette personne qui a reçu une éducation de noble. Elle prend aussi cet accent que nous ne pouvons pas identifier.

Plus tard le maître d’art martiaux et son bras droit nous écriront pour nous dire qu’il n’est pas possible de parler si longtemps à cette vitesse sur la base de choses lues ou vues. Il y a clairement à leurs yeux quelque chose de plus profond. Et la rencontre a fait un bien fou à Laura. Au fond d’elle, elle est toujours ce samouraï et a besoin de le dire.

 

Autres confirmations

Je découvrirai encore bien d’autres éléments permettant de donner de nouvelles confirmations de ses mémoires. Par exemple, la description d’attaquants sur une plage qu’elle nomme les « Huns-vikings ». « Huns » à cause de leur physique et « vikings » à cause de l’usage de bateaux plats avec des rames comme ceux des vikings, certains comportant même des tourelles accueillant des archers. Sa vision est tellement particulière que j’ai franchement de la peine à la croire. Pour moi, il n’y a que des jonques dans les eaux japonaises. Et pourtant, je découvre après coup l’existence de la flotte pirate Muramaki dont les bateaux correspondent de près au descriptif de Laura.

Le récit qu’elle me fait d’un voyage de deux ans aller-retour en Europe en tant que garde-du-corps me donne également plusieurs confirmations, même si, là aussi, je trouve étonnant qu’il puisse y avoir un tel périple durant les années 1560-1570. Pourtant, sa description des bateaux et des équipages est exacte, ainsi que celle qu’elle me donne des routes maritimes de l’époque.

 Elle me parlera surtout longuement de la peur qu’elle a ressentie à l’arrivée dans le port de destination lorsqu’elle découvre une muraille d’immeubles avec de nombreuses fenêtres en verre donnant directement sur le port. Le samouraï qu’elle était se demandait alors comment on pouvait accepter de vivre si près de l’eau sans avoir peur des tsunamis. Il ignorait évidemment que ce type de catastrophe était rare en Méditerranée. Encore une fois, je doute de Laura et de sa description, mais je tombe sur une fresque de Gênes datant du XVIe siècle qui montre bien cette fameuse muraille d’immeubles donnant sur le port.

Laura me décrit par ailleurs en détails la présence de marins atteints du scorbut : « Certains descendaient de bateaux et on se disait qu’ils étaient déjà morts, parce qu’ils avaient un teint cadavérique avec de grosses tâches noires sur le visage. Le scorbut attaquait déjà les peaux fines, celles du visage (joues, lèvres), sous les aisselles, à l’intérieur des bras, sous les genoux et entre les cuisses. Les gencives étaient noires et rongées. Elles étaient en sang avec des cloques ouvertes et du pus. Les lèvres roulaient vers l’extérieur. Elles étaient craquelées et noires avec du sang. Souvent, les personnes atteintes mouraient de soif parce qu’elles avaient des difficultés à avaler à cause de l’état de la bouche ou alors ce qu’elles avalaient avait un tel goût de putréfaction qu’elles vomissaient tout, ce qui endommageait encore plus la bouche. On pensait déjà à mon époque que le scorbut n’était pas contagieux et que c’était quelque chose qu’on attrapait pendant les longs voyages mal préparés durant lesquels il commençait à manquer de nourriture. Mais il me semble qu’on ne savait pas réellement ce qui causait le scorbut. Heureusement, nous, nous n’avons pas eu de problème avec cette maladie durant le voyage.”

En recherchant dans ma collection de vieux bouquins de médecine que Laura n’a certainement pas lus, je réalise que sa description de la maladie est d’une très grande exactitude. Comment peut-elle le savoir, alors que celle-ci a disparu depuis fort longtemps sous nos latitudes ?

Et ce ne sont là que quelques exemples épars de ces savoirs d’un autre temps…

 

Alexandra Urfer Jungen

 

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Pour en savoir plus, lire la page: 36. Points de convergence entre les souvenirs de Laura Jungen et la vie de Hayashizaki Shigenobu“, “37.Quand j’étais samouraï et “28. Caractéristiques des vies antérieures

Liste des chapitres de “Une famille (para)normale”