36. Points de convergence entre les souvenirs de Laura Jungen et la vie de Hayashizaki Shigenobu

 

La recherche d’identité

J’ai passé énormément de temps à essayer de trouver qui pouvait être cet étrange samouraï dont me parlait et je suis tombée  un jour sur un personnage historique japonais dont plusieurs éléments de vie correspondaient au récit que Laura m’a fait, même s’il est difficile d’avoir une certitude pour la simple raison que la biographie de cet individu change quasiment d’un site à l’autre ! L’individu historique dont il est question ici s’appelle Hayashizaki Shigenobu. Il est né en 1542 (ou 1546) et est probablement mort en 1621. Ce samouraï est l’inventeur de l’iaido, l’art du sabre.

Les biographes s’étonnent néanmoins : « Il est très rare pour quelqu’un ayant autant d’influence que Hayashizaki d’avoir si peu de documentation, mais sa vie et son héritage ont eu lieu pendant de longues périodes de bouleversements civils…Tout au long de cette agitation, on pense que la plupart des documents ont disparu. Avec la mort de ses étudiants pendant la guerre, beaucoup de documents ont été simplement perdus lorsqu’ils ont changé de mains. Mais malgré cela, il a accumulé un grand nombre d’étudiants qui continueraient son héritage. » (1)

Étrangement, Laura m’a toujours affirmé qu’en tant que Shizaki, elle avait expressément demandé qu’on diffuse le moins possible d’informations sur elle, estimant que les victoires se gagnaient en équipe et non pas seul. Elle détestait aussi qu’on fasse son portrait.

 

L’identification au blason

Laura s’est immédiatement identifiée au nom d’Hayashizaki Shigenobu  et elle a même instantanément reconnu l’emblème de la famille d’Hayashizaki comme étant le sien. Elle s’est d’ailleurs rappelée ce qu’Oto-Sama, son père adoptif, disait à propos de ce blason à la jeune enfant qu’elle était durant son ancienne vie :

« A l’arrière, il y a une fleur de lotus et par-dessus trois pétales de fleur de cerisier. Le cercle autour des fleurs est important. C’est pour ça qu’il est bien marqué. Les trois pétales représentaient Oto-Sama, sa défunte femme et moi. Les pétales de fleurs de Lotus représentaient tous ceux qui sont nos proches. Le cercle est un cercle protecteur de la famille et de ceux qui nous sont proches et donc il représente ceux pour qui nous nous battons. Il me semble que c’est ce que j’ai appris d’Oto-Sama. Trois pétales de Lotus : on savait qu’il y en a toujours beaucoup, donc il y en avait trois pour dire beaucoup ».

Plus globalement, Laura m’a indiqué que le blason rappelait le « dojo-monastère », ce lieu qui accueillait à la fois des moines et des personnes destinées à acquérir des compétences au combat. La fleur de cerisier était une référence au cerisier qui était dans la cour centrale et la fleur de lotus représentait l’aspect spirituel des lieux. Et en ce qui concerne le cercle entourant les fleurs : « Moi, je me battais pour le Japon. »

 

 Convergences sur les premières années de vie

De nombreux détails sur la vie de Hayashizaki Shigenobu semblent rejoindre le récit que m’a fait Laura, même si la biographie arrivée jusqu’à nos jours semble tout mélanger et que les auteurs admettent, comme je l’ai dit plus haut, ne pas être au clair sur la vie de l’inventeur de l’iaido : « Sa vie est obscure et, en conséquence, il y a beaucoup plus de légendes qui existent que de fait. On sait qu’il est né dans la province de Sagami au milieu du seizième siècle, de là on croit qu’il a vécu dans la province de Mutsu. » (2)

La province de Sagami était anciennement une région au Sud de Tokyo. Exactement comme dans la version officielle sur l’enfance de Shizaki lors de son entrée dans l’armée, puisqu’il avait fallu cacher le véritable lieu de naissance. Quant à la province de Mutsu, qui couvre notamment le nord de l’île d’Honshu, elle est bien celle où se trouvait le fameux « dojo-monastère » dans lequel Shizaki a grandi et a habité toute sa vie lorsqu’il n’était pas en mission.

Certaines biographies font par ailleurs mention de la mort du père de sang lorsque le personnage avait 5 ans, exactement comme me l’a dit Laura (par contre, contrairement à ce qu’on raconte aujourd’hui, c’était une délivrance pour elle). Elles mettent aussi en avant le début de son apprentissage de l’art du Kyō Ryū Kenjutsu Heihō, l’art du sabre des samouraïs, à l’âge de 7 ans dans un lieu consacré à cet apprentissage, comme me l’a dit Laura.

Plus étonnant, dans une autre interprétation de sa vie : « La légende nous dit que lorsque Hayashizaki avait 14 ans, son père a été assassiné par un guerrier appartenant à un clan de samouraï rival. Comme c’était le cas à l’époque, il tomba sur les épaules de Hayashizaki de se venger de la mort de son père pour préserver l’honneur de sa famille. » (3) Laura m’a très vite parlé de ce décès et de sa vengeance, à l’âge de 14 ans, contre le clan responsable de la mort de son père adoptif.

 

L’efficacité avant tout

Beaucoup de biographies parlent ensuite d’une retraite de 100 jours que fait Hayashizaki Shigenobu quand il a 17 ans. Durant ce temps, le jeune combattant va recevoir une illumination qui va lui permettre d’acquérir des compétences hors-normes dans l’art du sabre. Je me demande si cette retraite de 100 jours (un chiffre symbolique pour dire un temps assez long) ne pourrait pas correspondre au temps passé durant le voyage en Europe dont m’a parlé Laura. Ma fille m’a affirmé que c’était un petit peu plus tardivement (quand Shizaki avait 19 ans), mais, effectivement, dès son retour, il s’est pleinement investi dans son art et chacun a alors pu en prendre la pleine mesure. Un élément qui m’a frappée, c’est qu’à « l’issue d’un entraînement ascétique de 100 jours, il eut l’idée (inspiration divine) de systématiser l’utilisation du principe “dégainer en coupant“. (4) Cela rejoint de très près ce que Laura m’a dès le début inlassablement expliqué de sa technique personnelle, même si elle affirme catégoriquement qu’elle ne tenait pas son sabre dans le même sens qu’on le dit aujourd’hui : « Normalement, on tient son sabre avec le coupant sur le haut, mais moi, je l’avais toujours à l’envers, coupant vers le bas, parce que de cette manière j’étais plus efficace et plus rapide : on peut donner, directement en dégainant, un coup fort, précis et puissant. Mon coup démarrait immédiatement à la sortie du fourreau. Montée de gauche à droite, puis descente de droite à gauche. Comme cela, on coupe deux fois l’adversaire en moins de deux secondes. Je m’étais faite engueuler d’avoir mis mon sabre coupant en bas jusqu’à ce qu’on voie l’efficacité au combat. En plus, cette manière de faire n’épuise ni le pouce, ni le poignet, ce qui est le cas lorsque le sabre est avec le coupant dessus. Cela demande en effet une rotation pour se mettre face à l’adversaire. Le sabre a également tendance à aller dans le sens de la gravité. S’il part directement vers le haut [si on le dégaine avec le fil coupant en bas], cela engendre moins de fatigue dans le poignet et le mouvement se fait naturellement dans la courbe du sabre. Je respecte mon sabre en allant dans sa courbe. »

 

Ne pas tuer

La légende raconte aussi que, durant son inspiration divine, Hayashizaki Shigenobu « entreprit la codification des anciens iai-jutsu dans une approche moins agressive de l’art du sabre, en introduisant une dimension spirituelle caractérisée par la recherche du geste juste et de la connaissance intuitive. » (5) Laura, pour sa part, me confiait :« J’ai toujours dit que je voulais blesser non-mortellement ! Moi, je disais : vous touchez d’abord le bras droit (celui qui tient le sabre. Il y avait quelques ambidextre, mais pas vraiment de gauchers), ensuite le bras gauche et après les jambes. Je ne disais pas de viser les yeux ! Les aveugles, ce sont ceux qui avaient le moins grand taux de survie dans les villages. Autant l’abattre que de rendre aveugle quelqu’un, ça lui évitera de souffrir pendant des années !” Hayashizaki a ainsi transmis : « Ne tuez pas, ne soyez pas tué. Même si l’on rencontre le plus grand des pécheurs, on doit lui offrir un sermon et lui montrer le chemin des bons hommes. Si le pire se produit et qu’ils ne sont pas conformes, alors, sans hésitation, envoyez-les à Bouddha.” Dans le même texte, on lit plus loin : « Il fallait avant tout éviter la violence à tout prix, en privilégiant de diriger son adversaire sur le droit chemin de la paix et de la moralité plutôt que de simplement les abattre. [Hayashizaki Shigenobu] a appris qu’il valait mieux créer un grand homme qui à son tour créerait plus de grands hommes, au lieu de simplement tuer. Ce n’était qu’en dernier recours qu’il fallait recourir à la violence, et ce n’était que pour éviter que d’autres ne soient tués par la suite par cet adversaire. Ceci était connu sous le nom de katsujinken, l’épée qui donne la vie. » (6)

Cela colle de près avec ce que Laura m’avait expliqué : « Je disais toujours : « Forcez l’ennemi à abandonner ». Je trouvais très important que l’ennemi réalise : « Est-ce que ça vaut la peine de me battre ce pour quoi je me bats ?». Je disais toujours : « La raison pour laquelle vous vous battez est-elle réellement importante ? Est-ce que c’est un combat qui vaut vraiment la peine de laisser tous vos proches sans vous ? ». Souvent, les soldats ennemis réalisaient que cela ne valait pas la peine de perdre la vie pour cela. J’ajoutais : « Est-ce que ce serait un réel déshonneur d’abandonner ce combat ou est-ce que ce ne serait pas un plus grand déshonneur de perdre la vie dans un combat idiot ? ». J’essayais de faire comprendre que celui qui abandonne un combat qui n’en vaut pas la peine a beaucoup plus d’honneur que celui qui se bat tête baissée. »

Laura m’a aussi souvent raconté comment elle avait permis la réintégration de ronins et de guerriers vivant en marge qui, grâce à sa confiance, s’étaient réinsérés dans la société et étaient devenus des personnes respectables et respectées. Mais Laura m’a aussi toujours dit (avec une certaine froideur !) que si quelqu’un agissait en psychopathe, pouvant détruire de nombreuses vies autour de lui, alors, dans ce cas, elle n’avait aucune pitié et n’hésitait pas à l’éliminer.

 

Le sabre comme un pinceau

Ce qui m’a en outre particulièrement interpellée, c’est qu’on indique qu’Hayashizaki a établit les bases d’une nouvelle classe d’arts martiaux qui s’appelle « battojutsu », l’art du dessin d’épée. Or, Laura m’a très vite expliqué en détails : « Comment on tenait son sabre : la main du haut était à deux doigts (3 doigts si les doigts sont très fins) du tsuba. C’est cette main qui amène la finesse du mouvement. En ayant la main à cet endroit, la lame apparaît également moins lourde. La main du bas est située entre 1 et 2 doigts de la main du dessus. L’index de la main située en haut fait l’arrêt des mouvements. Il faut imaginer que c’est comme tenir un pinceau géant à deux mains. Tout doit être fluide. La main située en bas du manche dirige le sabre. La main au-dessus permet de partager le poids et de donner un mouvement fluide et coulé. »

A noter que Shizaki aimait beaucoup dessiner et peindre depuis l’enfance, ce qui était généralement une activité féminine hormis pour certains peintres officiels. Serait-il étonnant que quelqu’un aimant beaucoup la peinture utilise cette analogie pour l’usage du sabre ?

 

Gagner en force et en rapidité

Laura m’avait également raconté longuement et à de multiples reprises comment, enfant durant son autre vie, elle avait décidé d’apprendre à se battre avec une épée beaucoup plus grande qu’elle en s’inspirant d’une légende locale. Elle avait continué à le faire durant ses entraînements de manière à ensuite gagner en force, en rapidité et en efficacité en reprenant une épée normale. Elle me disait aussi qu’elle était autant à l’aise avec la main gauche qu’avec la main droite pour combattre. Or, on raconte que Hayashizaki Shigenobu « a également reçu les secrets du maniement du “Sanjaku Sanzun Katana” (une épée longue d’un mètre) et du “Kyūsun Gobu Wakizashi” (à lame de près de 29 cm) avec les techniques de “Manjinuki”, la capacité de dessiner instantanément avec la longue épée utilisant la main gauche et la main droite en parfaite harmonie…. Il faut utiliser l’épée longue comme si elle était courte, et l’épée courte comme si elle était longue. Détruisez la distance et le timing de votre adversaire en l’étouffant, tout en étant capable de tirer l’épée longue, tout en surmontant une distance énorme, en utilisant chaque centimètre de son corps et l’épée courte.» (7)

Laura m’a mimé ou montré avec son épée en bois un nombre considérable de fois les mouvements qu’elle faisait durant son ancienne vie. Des gestes qui me semblent correspondre parfaitement à l’enseignement de Hayshizaki Shigenobu. En outre ma fille a perpétuellement mis en avant l’importance de la rapidité qu’il faut avoir face à un adversaire, un élément qu’elle dit avoir appris comme élève au « dojo-monastère » durant son ancienne vie : « Alors que je commençais à apprendre à manier le sabre, on me répétait sans arrêt, du matin au soir pendant deux ans, qu’il fallait absolument manger l’espace de l’adversaire. Pour cela, il était important de faire rapidement des grands pas en direction de l’ennemi. On n’arrêtait pas de nous dire : « Il faut manger la distance pour que l’adversaire ne puisse pas réagir. Il ne va pas s’attendre à ce que vous avanciez aussi rapidement ! ».

 

Le long voyage vers Kyshu

Pour terminer, beaucoup de biographies faisant référence à Hayashizaki Shigenobu s’étonnent qu’il ait fait une tournée dans tout le Japon alors qu’il avait atteint un âge avancé. « On suppose qu’en 1616, à l’âge de 73 ans, il a fait une deuxième tournée au Japon, au cours de laquelle il a apparemment disparu. » (8) Ils se demandent souvent le sens de ce long voyage. Or Laura m’a très vite parlé d’une expédition jusqu’à Kyushu qu’elle affirme avoir faite au début de la septantaine durant son ancienne vie. Ce n’était pas pour enseigner une ultime fois, mais pour dire un dernier au revoir à l’épouse très malade de son meilleur ami et frère d’arme décédé des années plus tôt. Elle se souvient néanmoins avoir fait de nombreuses étapes durant ce long voyage pendant lesquelles elle a effectivement enseigné sans que ce soit là l’objet du voyage.

 

Alexandra Urfer Jungen

 

Pour en savoir plus, lire la page: 14. Souvenirs de vies antérieures japonaises et les pages témoignage ” Quand j’étais samouraï

Liste des chapitres de “Une famille (para)normale”

 

  1. https://jushinden.wordpress.com/2015/06/04/the-life-of-hayashizaki-jinsuke-minamoto-no-shigenobu/
  2. https://wiki.samurai-archives.com/index.php?title=Hayashizaki_Shigenobu
  3. http://tengukenkai.weebly.com/blog/the-legendary-roots-of-iaido
  4. http://www.dokusan.fr/articles.php?cat=1L
  5. https://be-and-become.com/lart-initiatique-du-sabre-japonais/
  6. https://jushinden.wordpress.com/2015/06/04/the-life-of-hayashizaki-jinsuke-minamoto-no-shigenobu/
  7. https://jushinden.wordpress.com/2015/06/04/the-life-of-hayashizaki-jinsuke-minamoto-no-shigenobu/
  8. https://wiki.samurai-archives.com/index.php?title=Hayashizaki_Shigenobu