L’ethnobotaniste Romuald Leterrier décrit comment s’est déroulée son initiation chamanique en Amazonie en 2008.
Le chamane « Ernesto me dit qu’il allait, en accord avec les esprits de la forêt, me donner à diéter un arbre du nom de Chuchuwasi. « Mais d’abord, me dit-il, il va falloir nettoyer ton corps. » Pour cela, il me donna à boire un breuvage infect d’une plante vomitive que l’on nomme la Yawar manga. Pendant plusieurs heures, j‘ai bien cru vomir tous mes organes. Puis, le soir venu, Ernesto me conduisit dans un petit abri de palmes distant d’environ deux-cent mètres de sa maison au cœur de la forêt. Là, il me donna à boire un verre de jus de tabac et me souhaita une bonne nuit. Honnêtement j’étais terrifié !… Épuisé, je ne parvins à m’endormir qu’au lever du soleil . Mon sommeil fut cependant de courte durée, car Ernesto me réveilla en début de matinée pour me donner à boire ma première décoction rougeâtre d’écorce de chuchuwasi. Au fil des jours, la diète avait profondément modifié ma perception du monde. J’étais devenu plus sensible, plus attentif ! je pouvais ressentir avec mon corps dans son ensemble la présence subtile des autres êtres vivants. Le temps semblait se distordre, laissant resurgir le passé dans le présent. Perceptions et mémoire semblaient se confondre, la réalité et le rêve s’unifier. La diète avait réveillé en moi une dimension instinctive m’ouvrant les portes d’un univers spontané où ma conscience était en harmonie avec l’environnement. Mes sens étaient aiguisés, exacerbés ! Mes journées étaient ponctuées de nombreuses siestes, lors desquelles les esprits des plantes se manifestaient dans les rêves pour m’enseigner. Je devinais une étrange unité entre ma conscience et la réalité. Pour tenter de mieux comprendre, j’essayais d’expliquer à Ernesto le concept de « synchronicité » développé par Jung et Pauli en lui relatant des exemples. A mon plus grand étonnement, les synchronicités semblaient très familières à Ernesto. Lui, il les appelait simplement les « signes ». « Pour créer les signes, tu dois redevenir comme un animal, spontané et entièrement attentif », me dit-il….
Plus les jours passaient, plus les effets de la diète s’amplifiaient. J’avais développé une forme étonnante de conscience intuitive. Mes pensées et mes émotions, tout ce qui est du domaine de la subjectivité, trouvaient un écho, un miroir à l’extérieur dans la réalité. Ma conscience et la nature semblaient unies par un lieu harmonieux. Mes pensées et mes intentions étaient synchrones avec l’environnement forestier. Je percevais des rythmes inconnus, des « rituels biologiques », qui étaient d’une importance fondamentale. Chaque matin, j’étais fasciné par le chant collectif des oiseaux au moment du lever du soleil. Mon corps donnait des informations à ma conscience et, spontanément, des idées et des pensées fleurissaient dans mon esprit. Je comprenais que ce chant collectif n’était pas seulement une euphorie due au retour de l’astre diurne, c’était un rituel collectif dont la fonction était d’appeler le soleil, d’assurer son retour. Ma conscience se diffusait dans l’environnement ! la forêt était devenue le support de ma cognition, et mon corps, un récepteur d’informations. Après vingt jours de diète, je me retrouvai un matin dans un état très agité. Impossible de trouver le repos ! L’agitation cessa lorsque, de façon synchronistique, mon regard se fixa sur un paresseux juste devant moi. Mon quotidien était devenu une vaste synchronicité, la diète avait réveillé en moi un instinct qui reliait mes intentions à tout un ensemble de signes qui se manifestaient dans la réalité. »
Romuald Leterrier & Jocelin Morisson, Se souvenir du futur, guider son avenir par les synchronicités, Guy Trédaniel éditeur, 2021, pp 41-42