Jamais seule

 

L’ange veille avec attention sur la petite Lola. Elle tousse une fois encore dans un râle. Son teint est cireux et des cernes s’accrochent sous ses yeux fatigués. Avec une infinie douceur, l’être dépose sa main sur le dos de l’enfant et elle a un petit frisson. Il lui souffle sans bruit à l’oreille :

  • Je suis là !

La fillette pousse un grand soupir. De soulagement ? Ses joues pâles reprennent quelques couleurs, mais en même temps, une larme coule au coin de ses yeux. Elle murmure à l’oreille de Barry, son gros chien en peluche qui ne la quitte jamais.

  • Je me sens tellement seule.

Elle ne voit pas l’ange. Elle ne peut même pas sentir sa constante présence. Il n’y a qu’elle et son lit. Elle et la solitude de son lit. Maman et papa ne peuvent pas rester en permanence dans sa chambre et, aujourd’hui, ses grands-parents qui passent si souvent lui tenir compagnie sont exceptionnellement absents.

Elle aime bien quand grand-papa est là avec sa grosse moustache qui pique et ses histoires de motards. Il la fait tellement rire en mimant ses aventures. Il a sillonné avec grand-maman toutes les routes d’Europe et même bien au-delà. Durant leurs virées, ils ont rencontré des gens biens et d’autres nettement moins. Ils ont vécu de sacrées galères et de beaux contes de fée.

  • Tu sais, Pitchoune, la vie c’est comme ça. Y’a du bon, y’a du mauvais. L’important, c’est ce que tu en fais !

Grand-maman et grand-papa ont des petites rides joyeuses au coin des yeux. Ils semblent toujours heureux. Et même si ça va mal, ils finissent toujours par voir le bon côté des choses. « L’important, c’est ce que tu en fais ! ». Ce sont des philosophes grand-papa et grand-maman avec leurs cuirs noirs et leurs tatouages. Lola aimerait bien qu’ils soient là aujourd’hui, alors qu’elle se sent mal et n’a pas le moral. Ils lui redonneraient bien vite le sourire et elle oublierait sans doute de tousser.

Maudite pneumonie. Elle n’arrive pas à guérir. Un mois à garder le lit, trop affaiblie pour faire quoi que ce soit, si ce n’est de rêver visiter les magasins et découvrir les décorations bariolées qu’elle aime tant. Noël c’est dans quatre jours, mais cette année, impossible de profiter de l’effervescente joyeuse qui précède l’événement.

Une petite larme coule à nouveau sur sa joue. Elle aimerait tellement avoir un ami à ses côtés. L’ange a suivi ses pensées. Il a à son tour un mouvement de découragement.

  • Je dois trouver une solution !

Son regard traverse les murs de la maison pour mieux voir la neige qui tombe lourdement. Un sourire éclaire alors ses lèvres. L’espace d’un instant, il bondit hors de la chambre, s’affaire avec diligence, murmure quelques paroles seulement audibles du cœur des humaines, puis revient en affichant un air satisfait :

  • Ta solitude est bientôt terminée, petite Lola.

Au même instant, la fillette entend la voix de maman au téléphone :

  • Est-ce que ce serait possible de nous l’amener un peu plus tôt ? Oui, je pense que oui !

Très vite, la sonnerie de la porte retentit. Lola reconnait la voix de la voisine :

  • La voilà. Vous verrez, c’est un ange.

Un mouvement. Quelque chose que l’on se transmet de main en main, puis papa qui répond :

  • Merci beaucoup ! C’est un peu en avance sur Noël, mais c’est exactement ce qu’il faut à Lola pour qu’elle se remette vite !

Des salutations, la porte d’entrée qui se referme, puis celle de la chambre qui s’ouvre. Papa et maman ont un grand sourire. Dans les bras de papa, il y a quelque chose :

  • Miaou ?

Le cœur de Lola bondit dans sa poitrine. Cela faisait si longtemps qu’elle en rêvait. La petite boule aux longs poils aussi noirs que les cuirs moto de ses grands-parents est déposée délicatement sur ses genoux.

Maman s’assied au bord du lit et caresse tendrement la tête de la fillette :

  • Elle s’appelle Hope, cela signifie « espérance » en anglais et elle a des poils spéciaux qui ne te feront pas tousser.

Lola regarde ses parents avec gratitude avant d’enfouir son visage dans le pelage de la petite chatte. Elle réalise que cette fois, c’est bon. Son monde va changer. Elle va guérir et désormais tout se passera bien. Elle le sait jusqu’au fond de son âme. Grâce à Hope.

Une larme coule sur sa joue. De bonheur cette fois.

  • Je ne serai plus jamais seule.

Une main invisible se pose sur son épaule :

  • Tu n’es jamais seule, petite Lola. Jamais seule.

 

 

Alexandra Urfer Jungen