Lorsque le cerveau droit est seul à fonctionner

 

Le cerveau comme émetteur-récepteur

Aujourd’hui, une nouvelle théorie met en avant le fait que la mémoire serait en fait externe au cerveau. Le cerveau serait comme un émetteur-récepteur qui est en relation avec une mémoire existant en-dehors de l’encéphale humain. C’est elle qui stockerait tous les souvenirs. D’ailleurs n’y a-t-il pas accès à cette base de données lors de la fameuse revue de vie mentionnée par une grande partie des personnes ayant vécu une EMI ? Cette théorie semble d’autant plus plausible si on reprend les cas de personnes à qui il manque la plus grande partie du cerveau et qui sont néanmoins capables de vivre normalement.

Selon cette théorie, la partie connectée avec « l’extérieur » serait le lobe temporal droit. « Ce lobe agit plus comme un récepteur-transmetteur que comme une zone de stockage. En stimulant cette zone en permanence, celle-ci donne à chaque fois une nouvelle image, exactement comme si on éteignait puis allumait sans arrêt un téléviseur. » (1)

 

Le témoignage de la neuro-anatomiste Jill Bolte Taylor

Et que se passe-t-il si le lobe temporal droit est seul à être activé chez une personne ayant normalement un cerveau en bon état de marche ? C’est l’incroyable expérience qu’a vécue la doctoresse Jill Bolte Taylor, une neuro-anatomiste affiliée à l’Etat de l’Indiana (USA) qui a survécu à un accident vasculaire cérébral dont l’hémorragie a gravement affecté l’hémisphère gauche de son cerveau. Bien loin de paniquer, sa première réaction en découvrant ce qui l’affectait a été de penser : « Combien de scientifiques ont l’occasion d’étudier la dégradation de leurs propres facultés mentales ? ».

Elle décrit ensuite, étape par étape, ce qu’elle a ressenti durant cette expérience hors-norme : « Naviguant entre l’urgence d’appeler des secours et un état d’irrationalité euphorisante… mon hémorragie, en entravant le fonctionnement de mon hémisphère gauche, m’a libérée de ma tendance à décortiquer, puis cataloguer tout ce qui m’entourait. La moitié gauche a cessé d’inhiber la droite et mon esprit s’est laissé gagner par la quiétude… Un bouddhiste dirait probablement qu’à ce moment-là, j’ai atteint le nirvana. La faculté de juger de mon hémisphère gauche s’est mise en veilleuse. Un sentiment de tranquillité, de paix, de sécurité, d’euphorie et même d’omniscience m’a envahie… Le temps, pour moi, a suspendu son vol : le métronome qui scandait le glissement du présent dans le passé en fond sonore dans mon hémisphère gauche, et qui me permettait d’ordonner mes pensées dans un ordre chronologique, s’est arrêté. Sans la possibilité de rapprocher un instant de celui qui le précédait ou lui succédait, je me suis mise à « flotter » d’un moment isolé à l’autre ». (2).

La seule chose à laquelle pense Jill à ce moment-là est d’appeler les secours, mais elle ne se souvient pas des numéros des personnes pouvant l’aider. Après de longs efforts, elle a enfin accès à quelques chiffres, entrecoupée dans sa tâche par « l’impression envoutante de ne plus faire qu’un avec le reste de l’univers ». Après trois-quarts d’heure, elle parvient enfin à appeler un collègue dont elle identifie la voix comme un aboiement et ses propres mots d’appel à l’aide ressemblent surtout à un borborygme. Celui-ci comprend néanmoins qu’il y a un problème et envoie les secours.

 

Incapacité à interpréter ce qui est vu

En attendant, le cerveau gauche de Jill est de plus en plus envahi par l’hémorragie. Elle découvre qu’elle n’est plus capable d’interpréter ce qu’il y a sur des cartes de visite : « Le rectangle de carton m’apparaissait sous la forme d’un tableau abstrait dont les différents éléments formaient un méli-mélo inextricable de points colorés. Mon cerveau ne parvenait plus à repérer les nuances ni les contours. J’ai dû admettre que ma faculté d’interaction avec mon environnement s’était beaucoup plus dégradée que je ne le pensais au départ. Mon emprise sur le réel se réduisait comme peau de chagrin. Je ne reconnaissais plus les indices qui me servaient jusqu’alors à identifier ce qui m’entourait. »

Voilà qui ressemble de près au témoignage de Nicolas Fraisse, cet homme qui a la capacité de sortir à volonté hors de son corps : « J’ai pu observer que pendant mes OBE [sorties de corps], je ne suis pas en conscience de ce qui se passe « sur l’instant ». Par exemple, je ne comprends pas ce que je vois ou ce que je lis, qu’il s’agisse d’une phrase, d’un mot ou d’un symbole. Je ne pourrai les interpréter qu’à mon retour, grâce à la mémoire que j’en ai… » (3)

C’est ainsi que Nicolas décrit étrangement ce qu’il aperçoit durant une expérience où il doit repérer des images placées dans une autre pièce :« J’ai vu un animal de forme arrondie, avec des sortes de pattes un peu bizarres, on aurait dit qu’elles étaient plus épaisses au bout, c’était un peu grisâtre, mais je ne sais pas ce que c’était.» (3) Au final, l’image cible était un crabe sur une plage de sable. Dans cet état hors du corps, il est donc possible de faire un descriptif précis de ce qui est observé, mais pas d’identifier l’objet, ni de comprendre réellement ce qui est vu.

 

Être la scène

Nicolas Fraisse constate également : « En sortie de corps, je n’observe pas la scène, je suis la scène. », ce qui rejoint là aussi le témoignage de Jill Bolte Taylor :

« Si l’on ajoute à cela mon incapacité à délimiter mon propre corps dans l’espace, et l’arrêt de mon « horloge » interne, on comprendra que je me percevais comme un fluide… Comme mon aire associative pour l’orientation ne jouait plus son rôle habituel, je ne percevais plus les limites de mon corps, qui ne s’arrêtait par conséquent plus à l’endroit où ma peau entrait en contact avec l’air ambiant. Je me prenais pour un génie libéré de sa lampe magique. Mon énergie spirituelle flottait en suspens autour de moi, telle une baleine géante dans un océan d’euphorie muette. La disparition des frontières de mon corps, plus subtile que le plus subtil des plaisirs à notre portée en tant que créatures de chair et de sang, m’a plongée dans un bonheur sans nom . Il m’a semblé évident, alors que même ma conscience se prélassait dans une quiétude bienfaisante, que l’immensité de mon esprit sans bornes ne parviendrait plus jamais à regagner le cadre étriqué de mon enveloppe charnelle

Sans « câblage » émotionnel pour me rappeler mes goûts et mes dégoûts, sans « ego » pour m’indiquer en vertu de quels critères juger mon entourage… Soudain, j’ai découvert ce que signifiait le verbe « être », tout simplement… Je ne m’ancrais plus que dans l’ici et maintenant et c’était magnifique ! … Libéré des entraves que lui imposait mon hémisphère gauche, mon hémisphère droit a exulté de se découvrir associé au flux de l’éternel. Je ne me sentais plus isolée et seule au monde… Tout est atomes. Tout est énergie. Mes yeux ne percevaient plus une mosaïque aux composants distincts. Au contraire, tout fusionnait ! Je n’analysais plus normalement ce qui se présentait à ma vue. (Ma perception de mon environnement le jour de l’AVC s’apparente assez aux tableaux pointillistes de certains néo-impressionnistes). Ma conscience en éveil se sentait rattachée à une sorte de flux cosmique. Tout se confondait dans mon champ de vision dont le moindre pixel irradiait d’énergie… Je ne voyais plus en trois dimensions. Rien ne me semblait plus proche ou plus lointain… Je dois avouer que la nécessité d’admettre que notre vision du monde extérieur et notre relation à lui découlent de notre « câblage » neurologique m’a libérée tout en me posant un défi de taille. Jusque-là, je n’étais que le pur produit de mon imagination ! »

 

Les tâches dévolues aux deux hémisphères du cerveau

Suite à son expérience hors-normes, Jill Bolte Taylor arrive à cette conclusion concernant les tâches dévolues à chacun des hémisphères du cerveau : « Notre hémisphère droit ne perçoit du spectre lumineux que les longueurs d’onde les plus élevées [… Il] ne s’attache pas aux contours. Il se concentre sur l’ensemble du décor pour en conclure que « tout est lié ». Notre hémisphère droit enregistre les fréquences sonores les plus basses, qui correspondent au « bruit de fond » de notre organisme… Notre cerveau gauche analyse au contraire la partie du spectre lumineux qui correspond aux longueurs d’onde les plus courtes ; ce qui l’aide à mieux percevoir la frontière entre une chose et une autre. Notre hémisphère gauche n’a aucun mal à identifier les lignes de démarcation entre éléments voisins. Les centres du langage de notre hémisphère gauche se focalisent sur les fréquences sonores les plus élevées, d’où leur aptitude à interpréter le langage verbal. »

Elle regrette ainsi combien notre société rejette tout ce qui vient du cerveau droit : « Les neurobiologistes actuels se contentent souvent de décrire sur un plan purement intellectuel l’asymétrie fonctionnelle de nos deux hémisphères cérébraux sans s’arrêter aux traits de caractère qui résultent de leur spécificité. La personnalité qui correspond au cerveau droit est souvent tournée en ridicule ou du moins présentée sous un jour peu flatteur en raison de son incapacité à comprendre un langage verbal et à tenir compte de l’écoulement du temps… Mon AVC m’a obligée à me rendre compte que mon hémisphère droit abritait une forme de conscience dont dépendaient ma quiétude, ma joie et mon amour pétri de compassion pour le reste du monde.» (4)

On peut résumer tout cela en quelques mots : hémisphère gauche, celui de la raison, hémisphère droit, celui du cœur.

 

Efficacité supérieure du cerveau droit

En outre, une expérience semble confirmer que notre cerveau droit, celui de l’inconscient est plus efficace que le cerveau gauche. Si on reprend l’illusion d’optique dans laquelle des cercles sont entourés d’une part de petits cercles et d’autre part de grands cercles, on constate que si on demande à un sujet de saisir virtuellement l’un ou l’autre cercle présenté, l’écartement des doigts sera spontanément toujours exact. Par contre, les doigts changeront d’écartement en fonction de l’illusion d’optique si on demande au sujet d’attendre un peu avant de saisir le cercle. On peut en conclure que notre inconscient attaché au cerveau droit a une meilleure perception de la réalité que notre cerveau gauche analytique. (5)

 

Du cerveau droit au cerveau gauche

Nous sommes certainement passés au cours de l’histoire humaine d’un usage prépondérant du lobe temporal droit, très utile pour des chasseurs-cueilleurs, à un usage quasi exclusif aujourd’hui du cerveau gauche.

Selon une étude du Dr Julian Jaynes, psychologue à la Princeton University, notre cerveau gauche domine excessivement depuis 5000 ans alors que le droit s’atrophie. La religion serait née à cette époque parce qu’une majorité des gens n’arrivait plus à se connecter avec le monde de la Transcendance du fait d’un activation trop forte du cerveau gauche au détriment du cerveau droit. Seules quelques personnes avaient gardé cette connexion avec l’autre dimension hors du temps et de l’espace, ce qui en faisait les intermédiaires entre le monde « des dieux » et celui des hommes. (6)

Le défi aujourd’hui serait d’arriver à connecter nos deux hémisphères du cerveau de manière égale. Peut-être le moyen de faire de nous des personnes plus équilibrées et plus responsables face à notre environnement et à la société.

Alexandra Urfer Jungen

1) Dr Melvin Morse, La Divine Connexion, Le Jardin des Livres, p.77
2) Dr Jill Bolte Taylor, Voyage au-delà de mon cerveau, J’ai Lu, Aventure secrète, pp 63-64
3) Sylvie Déthiollaz, Claude Charles Fourrier, Voyage aux confins de la conscience, Guy Trédaniel éditeur, 2016, pp.58 et 78
4) Dr Jill Bolte Taylor, Voyage au-delà de mon cerveau, J’ai Lu, Aventure secrète, pp 160-161
5) Lionel Naccache, Le Nouvel Inconscient, Freud, Christophe Colomb des neurosciences, Odile Jacob, 2006
6) Jaynes J, The Origins of Consciousness In The Break-Down of The Bicameral Mind, Houghton Mifflin Co. Boston Mass, 1976

 

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