Les espions psychiques américains

 

 

Vers une guerre psychique

« Lors d’un colloque scientifique organisé en Californie en 1969, un scientifique russe présente à ses homologues américains une étude synthétisant les efforts entrepris de l’autre côté du rideau de fer sur l’ « influence à distance », entre autres facultés extrasensorielles. La communauté du renseignement américain comprend alors, avec effroi, que les services secrets soviétiques investissent l’équivalent de plusieurs dizaines de millions de dollars dans la recherche sur la perception extrasensorielle, elle-même répartie dans une dizaine de centres de recherche dédiés, à l’image du laboratoire de parapsychologie de l’Université de Leningrad dirigé par le scientifique Leonid Vassiliev, abritant ses travaux sur l’influence à distance.

Conscients de l’avantage stratégique pris par les Russes en matière de perception extrasensorielle, les militaires américains, et en particulier la CIA, décident d’investir ce domaine. Laisser le monopole de la recherche dans ce domaine aux Russes, en pleine guerre froide, revenait à hypothéquer la sécurité nationale.

Au moment même où le renseignement américain s’active sur le front de la guerre psychique, un jeune scientifique, du nom de Harold Puthoff, diplômé de physique de l’Université de Stanford, intègre le Stanford Research Institute (SRI), à Menlo Park, Californie. L’une de ses premières missions au sein du prestigieux institut est d’étudier le processus de la vie des plantes à la lumière de la physique quantique. C’est ce projet, par un improbable concours de circonstances, qui amènera Hal Puthoff à diriger le programme Stargate.

Tout commence quand il entre en relation avec un ex-agent de la CIA, Cleve Backster, féru d’expérimentations en bio-communication animale et végétale. C’est par son intermédiaire que Puthoff fait la connaissance de Ingo Swann, celui qui deviendra le « père » de la vision à distance ».

 

Le programme Stargate

Le programme Stargate est lancé en janvier 1973. « Mis en confiance par le pedigree de Puthoff, les agents lui confient leurs inquiétudes de voir les Russes prendre un avantage stratégique dans la recherche en parapsychologie. Sans perdre de temps, la CIA exige de mettre à l’épreuve les capacités de Swann. Après qu’il eut décrit les objets dissimulés dans une boîte avec un niveau de détail et de précision satisfaisant, la CIA suggéra que Puthoff prenne la direction d’un programme de recherche pilote, en allouant une enveloppe de 49’909 US dollars. L’étude, sobrement intitulée « Biofield Mesurements Study » pour ne pas éveiller de soupçons, devait durer huit mois. » Ce n’était qu’un début…

« A l’époque, tous les regards sont braqués sur la CIA, prise dans la tourmente du scandale du Watergate et des révélations autour de ses expériences clandestines de contrôle mental. Embourbé dans ces affaires, la CIA se déleste du programme Stargate en 1975 qu’elle associe à un risque de réputation supplémentaire. [Mais] tant les résultats prometteurs du programme que le vif intérêt de la communauté du renseignement pour la perception extrasensorielle incitent l’USAir Force (USAF) et la Defense Intelligence Agency (DIA) à s’approprier le programme et financer les recherches du SRI, dès fin 1975.

 

Gondola Wish et Grill Flame

En parallèle, l’Armée américaine, l’U.S. Army Intelligence Support Command (INSCOM) (chargé du renseignement militaire), met en place son propre programme de contre-espionnage dont l’objectif initial est de déterminer la vulnérabilité US à la vision à distance. En septembre 1977, un projet d’une durée de trois ans, intitulé « Gondola Wish » et dirigé par le Lieutenant F. Holmes Atwater, est initié sous la responsabilité du Major Général Edmund Thompson… Rapidement, avec l’aide de Puthoff, le Lieutenant Atwater constitue une équipe de six militaires intuitifs formés au SRI et opérant depuis deux bâtiments sur les installations de Fort Meade, Maryland. » Le programme recevra un nouveau nom de code en juillet 1978, « Grill Flame », suite à la prise d’otage de l’ambassade des Etats-Unis à Téhéran en Iran. 

« Alors que la vision à distance assoit sa réputation dans le monde du renseignement émergent des complications de nature politique, organisationnelle et budgétaire. Tandis que le SRI s’affaire au développement de protocoles scientifiques, l’INSCOM se concentre exclusivement sur ses opérations, sans que l’une et l’autre de ces structures ne communiquent efficacement et régulièrement entre elles, par exemple sous l’hospice d’un directeur de projet unique, point de contact chargé de coordonner la recherche et l’application. Inévitablement, un fossé apparaît entre le développement scientifique et la performance opérationnelle. Autre bouleversement qui intervient en 1980, le budget dédié au programme est réaffecté à d’autres projets jugés moins controversés, plus visibles et plus consensuels. C’est alors que l’influent Major General Bert Stubblebine de l’INSCOM, qui commande 16’000 hommes, intervient pour s’approprier le programme, en court-circuitant la chaîne d’approbation budgétaire. A ce programme qu’il supervisera lui-même, il donne un nouveau nom de code adopté dès 1983 : « Center Lane ». »

 

Center Lane

Dès 1981, Hal Puthoff et Ingo Swann développent la méthodologie et l’architecture en six étapes de la vision à distance structurée. L’objectif est désormais le développement d’une technique de vision à distance enseignable à quiconque afin que cesse la dépendance aux intuitifs naturellement doué (Swann, Price, Mc Moneagle). Dès juillet 1982, le programme démarre sous les meilleurs auspices quand l’INSCOM et le SRI signent plusieurs contrats amenant l’équipe du Grill Flame et plusieurs civils travaillant pour le département de la défense à se perfectionner et à s’entraîner à la vision à distance au sein des bureaux du SRI.

En 1985, Thomas M. McNear, Lieutenant Colonel de l’US Army, rédige le premier manuel de vision à distance structuré, sur la base de son propre entraînement avec Ingo Swann. Destiné à l’Armée, ce document sera finalement utilisé par de nombreux organismes pour la formation de militaires et d’agents… C’est à cette époque que des noms bien connus de la vision à distance sont formés, tels que Ed Dames, Bill Ray ou Paul Smith, lesquels instruisirent à leurs tours, d’autres membres du programme, dont Lyn Buchanan ou encore David Morehouse.

En juilllet 1984, le Brigadier Général Harry Soyster remplace le Major General Stubblebine en qualité de commandant de l’INSCOM, avec comme incidence l’arrêt du programme Center Lane. En janvier 1986, le programme et le personnel tombent sous le giron de la DIA, plus précisément au sein du « Directorate of Science and Technology » (DS & T) qui rebaptise le programme : Sun Streak.

 

Sun Streak

Sur une période de plusieurs mois, le protocole de vision à distance structuré est testé, amélioré, affiné jusqu’à la rédaction d’un deuxième manuel en 1986 par l’espion psi Paul Smith, rédigé en étroite collaboration avec Puthoff et Swann et toujours sous la direction opérationnelle de Fred Atwater.

Consécutivement à plusieurs années de recherche et développement, la technique évolue et parmi les innovations notables, une suite de chiffres arbitraires remplace désormais les coordonnées géographiques. A titre d’illustration, on demanda, en mars 1986, à ce même intuitif, Paul Smith, de percevoir à quelle cible renvoyait l’identification arbitraire « 184901 317289 », en utilisant le dernier protocole de la vision à distance. C’est en fixant son intention sur cette succession de chiffres, elle-même reliée à la cible, que Smith fut capable de décrire avec justesse une ogive d’un missile intercontinental soviétique.

 

Retour au Stargate

En 1900, le DIA donne le mandat à un organisme du secteur privé, le Science Application International Corporation (SAIC), d’administrer le programme de vision à distance, lequel est affublé d’un ultime nom de code : Stargate.

Au terme de l’exercice de revue budgétaire de la Défense en 1994, le Congrès ordonne à la DIA de transférer le programme Stargate à la CIA. L’agence prend la décision de procéder à l’évaluation complète de l’efficacité du programme en mandatant un think tank basé à Washington, l’American Institute for Research (AIR)…

Publié en septembre 1995, le rapport conclut que la vision à distance n’est d’aucune utilité pour la récolte de renseignements. A y regarder de plus près, les conclusions du rapport AIR sont ambiguës, mettant en évidence, d’une part, des effets statistiquement significatifs prouvant la réalité de la vision à distance tout en, d’autre part, recommandant des analyses supplémentaires pour les valider… L’Histoire retiendra l’improbable participation du Dr Hyman à l’évaluation du programme, celui-ci étant connu pour ses préjugés et prises de position négatives à propos des perceptions extrasensorielles. Deuxième anomalie, l’évaluation se limite aux réalisation des deux dernières années du programme, sur une durée totale de vingt-trois ans…

Il est aujourd’hui convenu que la raison d’être du rapport AIR était de donner une caution scientifique et morale à la CIA l’autorisant à se délester d’un programme jugé politiquement encombrant et scientifiquement embarrassant…

Le programme Stargate fut arrêté le 20 juin 1995 et son équipe démantelée…

Durant ses vingt-trois ans d’existence, le programme Stargate a travaillé sur 504 missions d’espionnage, générant plus de 2’500 séances opérationnelles. Sur les dix-neuf agences gouvernementales qui eurent recours au programme, dix-sept étaient de très bons « clients », revenant sans cesse avec de nouvelles demandes.”     

 

Extraits tirés de l’ouvrage de Fabrice Bonvin, La Science de l’Intuition, Guide pratique de vision à distance, JMG éditions, 2018, pp 58-78

 

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