L’ayahuasca

 

 » L’ayahuasca est une préparation végétale réalisée à partir de deux plantes. La liane ayahuasca proprement dite, Banisteriopsis caapi, et un arbuste de la famille des rubiacées, la chacruna ou Psychotria viridis.

Les chamanes font cuire dans l’eau plusieurs heures des tronçons de liane ayahuasca et des feuilles de chacruna. Ils en raffinent ensuite un liquide noirâtre au goût très amer. Ce breuvage hautement psychoactif contient des principes actifs qui sont similaires à nos neurotransmetteurs cérébraux. Ainsi la DMT, diméthyltryptamine, contenue dans les feuilles de la chacruna, vient se connecter aux mêmes récepteurs synaptiques que ceux de la sérotonine, provoquant des visions d’une rare intensité. Cependant l’action de l’ayahuasca sur la conscience reste malgré tout un mystère. Dans l’expérience de l’ayahuasca, la conscience de soi demeure, ce qui n’est pas le cas avec certaines autres plantes de vision, comme les daturas.

Mais que se passe-t-il au cours de l’expérience ? Bon nombre d’hypothèses ont été avancées par des psychologues, des neuropharmacologues, des biologistes, etc. Deux courants se dessinent. Certains pensent que la DMT, présente dans la chacruna, connecte notre conscience à d’autres niveaux de réalité, à des univers parallèles. D’autres ont une approche subjective et pensent que l’ayahuasca permet un accès à notre inconscient collectif, et de pénétrer ainsi les méandres de notre psyché. Pour ma part [témoignage de l’ethnobotaniste Romuald Leterrier], j’opte pour une position théorique intermédiaire. Il me semble que l’ayahuasca est un puissant outil de décloisonnement de la conscience… L’ayahuasca semble donc d’abord débloquer des « verrous perceptifs » et permet de percevoir l’environnement sous des angles multiples. Les autres mondes décrits par certains expérienceurs sont, à mon sens, notre monde dans sa globalité, mais perçu par des sens déconditionnés, décloisonnés. Il m’est arrivé d’avoir des visions les yeux ouverts et qui venaient s’intégrer au réel, venant même l’augmenter, lui donner plus de sens, comme si tout à coup le monde se dévoilait dans sa totalité, sans filtres ni membranes culturelles. Les plantes de vision sont comme des clés perceptuelles. Comme le disait si bien Aldous Huxley, elles ouvrent « les portes de la perception ». L’ayahuasca aurait donc la particularité de nous faire percevoir un monde global, unitaire, où l’ici-bas et l’au-delà fusionnent. D’ailleurs, le nom même de l’ayahuasca laisse entrevoir cette possibilité. En effet, en langue quechua, ayahuasca signifie « la liane des morts » ! Je me souviens d’une discussion à ce sujet avec le chamane shipibo Kestembetsa. Selon lui, l’ayahuasca permet de se rendre dans l’au-delà sans passer par la mort du corps physique. Faisant écho à ces paroles, de nombreux expérienceurs du breuvage évoquent leurs « rencontres » en vision avec des défunts. » (1)

 

1. Romuald Leterrier & Jocelin Morisson, Se souvenir de l’au-delà, Guy Trédaniel éditeur, 2020, pp.29-31