28. Caractéristiques des vies antérieures

 

L’attirance pour une époque

Cela fait bien longtemps que je m’interroge sur la réincarnation. En fait, depuis l’école primaire ! Durant mes jeunes années, je me suis plongée dans les ouvrages racontant comment, grâce à l’hypnose, certaines personnes se souvenaient avoir vécu d’autres existences et je me disais alors combien j’aimerais être comme elles et pouvoir me rappeler qui j’avais été avant cette incarnation… si tous ces témoignages étaient bel et bien réels (j’ai toujours gardé une distance intellectuelle face à ce que je lisais). J’ai repensé bien plus tard, alors que j’avais la trentaine, à mes jeux et passions d’enfant. J’ai toujours aimé me déguiser et, sachant cela, mes parents m’avaient trouvé dans une revente de costumes de théâtre de quoi satisfaire mon jeu préféré. Il y avait en particulier une jupe « 1600 » et une robe « 1900 ». J’étais profondément attirée par ces deux habits, surtout la robe début XXème siècle que je mettais souvent pour le plaisir, tant j’étais aimantée par cette époque. J’en étais presque jalouse de mon grand-père né en 1900 tout rond. Je m’imaginais vivre au tournant entre le XIXe et le XXe siècle, avec toutes les inventions qui tout à coup allaient émerger et changer la vie de millions de personnes. Même sachant la venue des deux guerres mondiales, je ne pouvais pas m’empêcher de dessiner partout des personnages et objets typiques de cette période. Je me plongeais aussi avec délice dans les photos et les vieilles cartes postales que ma grand-mère et ses sœurs gardaient soigneusement. J’aurais tout donné pour pouvoir voyager dans le temps et me projeter à cette époque.

Je me demande dès lors si l’attirance irrésistible qu’ont certains enfants pour un pays ou une époque ne serait pas le résultat d’une mémoire quasi-oubliée qui s’effacera au cours des années si aucun événement majeur ne vient la faire ressurgir… ou un rêve. J’avais la trentaine bien avancée lorsque j’ai fait un songe qui m’a si profondément marqué que je l’ai tout de suite écrit au réveil. Je me voyais assise dans une chambre à coucher. Je savais que je vivais à San Francisco autour des années 1900. Le miroir en face de moi reflétait le visage d’une femme dans la bonne cinquantaine. Son visage était aussi émacié que j’étais ronde à ce moment-là. Aucun des traits rapportés par le reflet ne ressemblait à ce que j’étais et pourtant, c’était « moi ». Mais ce qui m’a sans doute le plus secouée, c’est que je ressentais dans mes tripes les sentiments de désespoir et de trahison que cette femme éprouvait : elle savait que sa fille et son beau-fils l’empoisonnaient à petit feu pour pouvoir hériter de sa fortune. Et cette femme s’était avouée vaincue. Elle acceptait cette mise à mort. Elle refusait de se battre et attendait en silence la fin de sa lente agonie. Ce rêve m’a d’autant plus interpellée qu’il ne correspondait en rien à ce que je vivais à ce moment-là et encore moins à mon caractère actuel. Est-ce qu’une défunte a partagé avec moi cette vision sachant mon amour pour le début du XXe siècle ? Comme je n’ai pas eu d’émotions ou d’autres évocations au-delà de ce rêve, je doute fortement qu’il s’agisse-là d’un souvenir venant d’une autre existence. Par contre, j’ai souvent, subrepticement, des images du siècle passé qui me viennent en tête. Dans ce cas, les paysages ressemblent à ceux de la Suisse d’alors. Je ne cherche pas à en savoir plus. Je me dis que si cela doit devenir important, alors les mémoires me reviendront en tête quand ce sera le moment.

 

Jeux d’enfants

L’autre élément « historique » qui m’est apparu une fois devenue adultes, c’est ce jeu que, petite, je voulais sans cesse faire avec mes amies. Je disais que nous étions dans le passé. Nous étions de nombreuses prisonnières enfermées dans une tour ronde. Nous pouvions circuler librement dans cet espace et discuter ensemble. Il y avait une fenêtre étroite et haute qui nous permettaient de regarder dehors. Nous n’étions pas emprisonnées parce que nous avions commis un crime, mais à cause de nos idées. Nous étions des opposantes. Je poussais toujours mes amies à mettre les habits 1600 quand nous faisions ce jeu-là et mes camarades se lassaient bien vite, parce que dans mon jeu, il ne se passait rien : nous étions enfermées et nous attendions que nos journées s’écoulent. Mes amies ont bien vite mis le doigt sur les incohérences : quand on est prisonniers, on est mis chacun dans un cachot avec des barreaux en fer. On ne peut pas circuler librement dans une grande pièce !

Lorsque, bien des années plus tard, j’ai visité le Musée du Désert à Mialet, en France, avec un groupe de catéchumènes, j’ai été très interpellée par l’un des tableaux exposés. On y voyait les prisonnières huguenotes de la Tour de Constance à Aigues-Mortes. Le tableau reflétait exactement le décor de mes jeux d’enfant. Contrairement à mon rêve de San Francisco, les images et les émotions sont dans ce cas-là très fortes et je m’identifie totalement à cette femme du passé dont j’ignore le nom. Je me prends parfois à imaginer que ma vision sans concession d’un protestantisme porté par le peuple des croyants vient peut-être des souvenirs d’une femme emprisonnée jadis pour sa foi.

De son côté, mon mari aime raconter qu’il n’apprécie pas beaucoup les chevaux, parce qu’un de ces satanés « steaks à pattes » lui est tombé dessus durant… la campagne napoléonienne de Russie et qu’il est mort à petit feu, la moitié du corps disloquée, écrasée sous le poids de l’animal. Il a aussi des souvenirs de chariots typiques de la ruée vers l’or et il a les larmes aux yeux dès qu’il entend les premières notes d’un banjo.

Il suffit souvent d’observer les enfants pour comprendre qu’ils gardent souvent en mémoire des gestes d’un autre temps. Combien de vidéo sur les plateformes de partages de vidéo où l’on trouve des gamins capables de prouesses alors qu’ils nous que trois ans  ? Et il y ces petits gestes qui peuvent presque passer inaperçu si cela ne fait pas écho à notre propre vécu. Un jour, alors que j’attendais dans la voiture que Laura me rejoigne, j’ai pu observer une maman qui conduisait dans un poussette « canne » un petit garçon qui semblait avoir trois ans. Le petit garçon était penché en avant, les deux avant-bras posés sur ses cuisses. Ses deux mains, pas totalement fermées, étaient posées verticalement, pouce en haut. Régulièrement, l’enfant les secouait énergiquement de haut en bas. Pour moi qui ai fait de l’équitation, il n’y avait pas le moindre doute, le petit garçon avait la position parfaite d’un homme qui conduisait une calèche. J’avais clairement l’image d’une roulotte du Far West. Il ne manquait plus que le tabac à chiquer, mais l’attitude nonchalante qu’il avait adoptée était sans le moindre doute celle d’une personne ayant passé de longues heures à conduire des chevaux.

 

Clin d‘œil d’un autre temps

Si souvent il est nécessaire de faire table-rase du passé pour pouvoir tout recommencer à zéro, je pense qu’il ne faut pas non plus en faire une psychose. Quand des mémoires remontent soudainement par petits flashs, il est peut-être bon de les accepter et de les considérer comme des « coucou ! » de nos personnalités antérieures. Et parfois, il pourrait être intéressant de nous interroger sur ce que cela nous évoque au moment où cela nous arrive. Ces courtes sensations venues d’un autre temps peuvent peut-être nous indiquer des voies à suivre ou nous donner des solutions à nos problèmes présents.

Il y a aussi les mémoires qui affectent fortement le présent, comme cela a été le cas pour mes filles. Dans ce cas, impossible de les repousser et de se forcer à les oublier. Il s’agit dès lors d’accompagner la personne qui les vit. En comprenant d’où viennent certaines images récurrentes, peurs, pathologies physiques actuelles et réactions inexplicables, nous serions certainement plus à même d’y faire face et ainsi les transcender. Si les psychiatres (et même les médecins) en tenaient compte – qu’il y croient ou non – sans doute pourraient-ils apporter de nouvelles clés de compréhension à leurs patients et les aider à se remettre plus rapidement.

 

Les différentes causes de mémoires d’autres existences

Pour compliquer les choses, les mémoires d’autres existences peuvent avoir plusieurs origines, à commencer par la cryptomnésie, ce phénomène de souvenirs oubliés. On peut ainsi reconstruire une existence « antérieure » de toute pièce sur la base de lectures, de voyages, de discussions etc. dont on a totalement oublié l’existence.

Comme on l’a vu avec mon rêve, des mémoires d’un autre temps peuvent aussi provenir de cas de possession durant lesquelles un défunt peut communiquer des souvenirs de son ancienne vie avec une personne « sur la même longueur d’onde ».

Autre phénomène : l’accès à ce que Jung appelle la Mémoire collective. C’est comme capter une émission. Voilà ce qu’explique Laura dans ce cas : « Tu peux avoir des souvenirs qui ne t’appartiennent pas pour diverses raisons. Il faut avoir assez d’ouverture d’esprit [dans le sens, d’une ouverture à des capacités paranormales] pour s’en souvenir et les garder. Les souvenirs sont soit au niveau gestuel, soit au niveau de mental. Tout cela se trouve dans « la base de données ». Moi, je peux aller directement chercher dans la base de données. Je pourrais ainsi manier une épée droite moyenâgeuse en allant chercher les informations. Mais ce sont des micro-trucs : tu vas avoir un film avec le bon mouvement. C’est très filtré. Je ne pourrais pas apprendre à piloter un hélicoptère comme cela ! La plupart du temps ça s’estompe et ça devient moins net : on a l’image, mais elle a perdu une partie de sa netteté. On peut avoir plus d’informations qui arrivent en situation d’urgence, car il en va de la survie. Par exemple, si on est sur une île déserte. »

 

L’identification à la personnalité antérieure

Tout cela n’est pas comparable avec les souvenirs de vies antérieures, qui, eux, habitent totalement l’individu. Il y a dans ce cas une identification totale et sans le moindre doute avec la personnalité antérieure.

Lorsque les filles me parlent, la personne qu’elles sont aujourd’hui n’est que la prolongation de ce qu’elles ont été auparavant, que ce soit comme individus/animaux incarnés ou comme désincarnées. Le pronom personnel utilisé naturellement est toujours le « je ». On est face à la même personnalité, le même « moi », qui évolue à travers le temps et diverses réalités dimensionnelles. De ce fait, ce qui est vécu aujourd’hui s’appuie sur les expériences antérieures. Laura me disait adolescente : « Avant, chez Oto-Sama, je faisais comme ça. Tu n’as pas à te plaindre de mes bêtises. Je suis plus calme maintenant ! ». Il est bien question de la même enfant à des époques différentes et une enfant qui a un peu évolué en apprenant de son passé. En d’autres mots, les existences antérieures laissent une marque au niveau de l’être intérieur, de sa pensée et de sa philosophie de vie. Le passé imprègne totalement le présent. Par exemple le concept « ne pas tuer, sauf en cas d’extrême besoin » est fondamental chez Laura depuis son plus jeune âge.

Un autre élément fondamental, c’est que dans leurs souvenirs, les filles se voient toujours à l’intérieur du corps de la personne/animal qu’elles incarnaient dans le passé. Elles voient leurs mains, leurs pattes, le bas de leur corps, une image dans un miroir ou un reflet dans l’eau. Elle ne se voient jamais en entier, exception faite de Laura lorsqu’elle se souvient de Shizaki subissant viols, tortures et graves blessures. Mais cela rejoint ce que l’on a pu découvrir des travaux de recherche sur MK Ultra et de certains réseaux satanistes où l’objectif est de créer par le viol et la torture des dissociations et des sorties de corps. Les expériences de mort imminente évoquent aussi ces moments où la conscience est séparée de l’organisme.

Je constate par ailleurs qu’à un jeune âge, il y a une identification parfois difficile de l’enfant par rapport au corps actuel, comme s’il n’avait pas encore conscience de ne plus avoir la même carcasse que dans son ancienne incarnation. Samantha s’imaginait toujours avec de longs cheveux épais et foncés. Laura pour sa part nous disait souvent : « Je devrais savoir faire ça, mais je n’y arrive plus ». Elle était particulièrement frustrée que son corps ne réponde plus à ses commandes comme dans ses souvenirs. Elle ne se reconnaissait pas non plus dans le miroir. L’image reflétée n’était pas « moi ».

 

L’émergence des souvenirs

Les souvenirs d’anciennes existences ne sont pas seulement des images ou des sons. Ce sont aussi des odeurs, des goûts, des sensations tactiles et des émotions. Ils peuvent arriver n’importe quand, n’importe où et de manière absolument semblable aux souvenirs que nous pouvons avoir de notre enfance… ou même de ce qu’il s’est passé la semaine précédente, tant ceux-ci peuvent être nets dans l’esprit.

Les déclencheurs sont le plus souvent anodins: de la neige qui tombe, une activité banale, la vision d’un bâtiment, etc. Le souvenir surgit d’un coup et il surprend, parce qu’on n‘y avait pas pensé auparavant. Il peut être totalement anecdotique ou alors prendre la forme d’un gros bloc informatif. Par exemple, en  me voyant nettoyer du riz sous l’eau froide, Laura s’est souvenue instantanément de la manière dont on lavait le riz dans l’armée sous l’ère Sengoku. En me voyant planter des fleurs,Samantha s’est tout de suite rappelée que sa maman d’avant aimait particulièrement jardiner.

Les souvenirs peuvent également remonter subitement en mémoire en voyant un reportage. Dans ce cas, ils ne s’appuient généralement pas sur le film, mais mettent en avant les différences ou alors n’ont en fait rien à voir, exception faite d’une courte séquence, voire de quelques images, qui ont déclenché le souvenir. Par exemple, Laura a un jour eu un choc en découvrant une émission consacrée aux trois trésors sacrés du Japon. Il s’agit de trois objets légendaires constitués par une épée, un miroir en bronze et un pendentif. Tous trois auraient été offerts au pays par la déesse Amaterasu. Au moment où elle a vu le reportage, c’était pour Laura comme si « un fichier s’ouvrait d’un coup en elle ». Elle avait le sentiment de les connaître tous les trois, mais ils n’étaient pas tout à fait identiques aux répliques présentées aujourd’hui au public. Etonnamment, ce sont surtout le miroir et le pendentif qui ont fait écho en elle, alors que, logiquement, cela aurait dû être l’épée. Elle se souvient ainsi d’avoir dû amener durant son ancienne vie le célèbre médaillon du Palais de l’empereur au sanctuaire d’Ise, le sanctuaire shinto le plus important du Japon. Contrairement à l’imagerie actuelle, le médaillon avait dans ses souvenirs des bords nets et non pas arrondis. Pour Laura, ce bijou représente probablement le côté yin. Elle se souvient que Shizaki le portait en permanence autour du cou durant sa mission, mais qu’il a ignoré quel était réellement l’objet qu’il transportait jusqu’à ce qu’il le remette en lieu sûr .

 

Les capacités innées

Il y a aussi de nombreuses capacités corporelles innées lorsqu’on parle de vies antérieures. Lorsqu’elle était à l’école et qu’elle faisait de la gymnastique, Laura n’avait pas de jambe d’appel. Elle pouvait utiliser indifféremment la jambe gauche ou la jambe droite et elle passait souvent de l’une à l’autre. Les professeurs de gymnastique en étaient d’ailleurs très surpris, parce qu’ils avaient très rarement (voire jamais) vu ça. Elle m’a bien souvent rapporté leur étonnement à son retour de l’école. Cela prend toute sa logique lorsqu’on sait que, dans les combats, Shizaki utilisait ses deux jambes indifféremment. Il en était de même pour le maniement du sabre utilisé avec l’une ou l’autre main. Et justement, Laura a également de bonnes capacités ambidextres. Lorsqu’elle avait le poignet droit dans le plâtre ou dans une attelle à cause de ses tendinites à répétition, elle a appris très rapidement à écrire correctement de la main gauche, surprenant là aussi ses professeurs.

Les capacités de l’autre vie peuvent par ailleurs être décelées par de parfaits inconnus. Par exemple, Laura a essayé des getas, les sandales traditionnelles japonaises en bois en allant au « Japan Impact » à Lausanne. Elle marchait avec une telle aisance que cela a interpellé le vendeur. Il a demandé :

– Ça fait longtemps que vous portez des sandales japonaises ?

– Non ! c’est la première fois.

Il paraît qu’il l’a dévisagée bizarrement, une impression confirmée par la meilleure amie de Laura, également présente ce jour-là. Au-delà, ce qui a particulièrement surpris le vendeur, c’est que ma fille était capable de marcher par moment comme le font les hommes et d’autres fois comme le font les femmes au Japon. Du moins comme la gent féminine le faisait à l’époque. Laura ne cesse pas de me répéter qu’on a oublié aujourd’hui comment se déplacer harmonieusement avec ces chaussures traditionnelles. Quand elle découvre des reportages sur les geishas et les voit avancer dans la rue, elle parle toujours de « troupeaux de buffles ». Auparavant, me dit-elle, les geishas « donnaient l’impression de planer au-dessus du sol ». Et ma fille ne manque jamais de me montrer comment il faudrait faire normalement.

Cette reconnaissance venant d’inconnus, Laura l’a aussi vécue dans notre petite ville de Payerne. Lors du traditionnel Marché de Printemps, elle est allée visiter le stand de « Monsieur Couteau » qui, comme son nom l’indique, vend une vaste collection de lames. Le responsable du stand l’a immédiatement reconnue et il a demandé à sa femme :

– Tu la reconnais ?

– Oui ! C’est la demoiselle au sabre !

Apparemment, tous les deux ont été marqués par les quelques mouvements que Laura a fait avec un sabre japonais vendu sur le stand avant qu’elle ne l’achète deux ans plus tôt. A l’époque, le couple de vendeurs avait dit en l’observant : « Elle, on voit qu’elle a l’habitude ! », ce qui était en réalité totalement faux. Mais le fait qu’un spécialiste des couteaux réagisse ainsi était un signe de plus pour Laura que ses mémoires corporelles étaient bien réelles.

Laura était aussi très passionnée sur le stand de M. Couteau. Elle expliquait à sa meilleure amie comment reconnaître une bonne lame. Ses paroles étaient littéralement bues par des jeunes hommes qui la suivaient discrètement de près. Laura a remarqué que quand elle parle sur des questions techniques, tactiques ou défensives, elle attire immédiatement la gent masculine vers elle. Ils ne cherchent pas du tout à la draguer, mais, au contraire, sont impressionnés et cherchent à tout prix à suivre ce qu’elle a à dire. Un jour, l’un d’entre eux lui a même affirmé que si c’était la guerre, il irait directement chez elle. Je me dis souvent que mon aînée a gardé dans cette existence la capacité de Shizaki à mener des hommes.

 

Transformation corporelle

Je suis surtout époustouflée par la transformation corporelle des filles dès qu’elles se replongent dans leurs souvenirs: elles sont immédiatement, physiquement, cette autre personne dont elles me font le récit. C’est particulièrement flagrant pour Laura à cause des différences géographiques et temporelles entre ses souvenirs et notre époque actuelle. Quand elle me décrit des déplacements en kimono, on peut clairement visualiser la présence du obi, la large ceinture qui permet de fermer le vêtement féminin. Laura se tient très droite et son buste reste immobile. Quand elle me rapporte ses mémoires de samouraï, sa main se pose automatiquement sur la poignée d’un sabre invisible. Lorsqu’elle me raconte comment elle combattait à cheval, elle bande la corde d’un arc virtuel à deux doigts et son bassin se met à bouger automatiquement comme dans un grand galop. Elle n’y réfléchit pas. Cela vient tout seul.

De plus, il y a toujours le ressenti physique laissé par les événements vécus durant l’existence antérieure. Samantha se souvient avec acuité de son accouchement et de ce qu’il s’est passé ensuite. « J’avais la morphologie de ma mère : j’ai tout de suite récupéré la ligne après mon accouchement. Je n’ai pas eu de vergetures, par contre des nausées, ça j’ai bien eu ! ». Laura peut dire comment le sang giclait sur le champ de bataille et comment il collait les habits contre la peau lorsqu’elle était sérieusement blessée en tant que Shizaki.

 

L’intensité des émotions

Ce qui est également flagrant dans les souvenirs d’ancienne existence, ce sont les émotions qui traversent le récit. La souffrance d’avoir perdu des proches reste très présente. Par exemple, Samantha avait les larmes aux yeux en écoutant les chansons « En ton nom » de Stress et « Ça fait mal » de Christophe Maé. Il nous a fallu du temps pour connecter cette douleur à priori inexplicable à son autre vie. Ma cadette se souvient avoir perdu son père d’un cancer à Brooklyn lorsqu’elle avait une douzaine d’année. En pleurs, elle m’avait confié durant notre voyage aux États-Unis : « Je me souviens bien combien ma mère a été forte. Elle savait qu’il était là [invisible aux côtés de sa famille]. Je voyais à quel point elle avait mal, mais elle ne le montrait pas. Je me souviens de sa tête quand on nous annoncé qu’il était mort. Il était à l’hôpital. C’est le genre d’images qui reste gravée. Elle se retenait de pleurer et elle m’a dit avec un sourire : « papa est enfin libre ». Elle était incroyable ! »

Cette émotion venue du passé est viscérale. Lorsque Laura pense à la femme japonaise qu’elle était, elle garde ancrée profondément la souffrance d’avoir perdu un mari et des enfants. Comme samouraï, elle est désespérée face au décès de son père adoptif et de ses compagnons d’armes. Le deuil est profond. Émotion surtout en songeant aux champs de bataille, comme lors du terrible combat mené contre ceux qu’elle appelle « Les Huns-vikings ». Sa rage contre ses supérieurs de l’époque est encore intacte. Elle entend toujours les cris d’agonie de ses camarades brûlés vifs par les flèches enflammées et elle a toujours dans les narines l’odeur de leur chair brûlée. « On est plus mal d’avoir survécu à cela [cette bataille] que d’être mort. »

A l’inverse, le sentiment de joie est lui aussi intense à l’évocation des souvenirs heureux, comme la demande en mariage de John « si romantique » au bord de l’eau à Brooklyn pour Samantha ou celle de réussir à gagner une bataille sans la moindre effusion de sang pour Laura.

 

Les objets évocateurs

Je constate aussi que des objets sont soudain si évocateurs que les filles ne peuvent plus s’en séparer. Pour Samantha, c’est une montre. Lors d’une visite en ville ma cadette est littéralement tombée en arrêt devant une vitrine de magasin. Un coup au cœur ! Nous lui avons offert la fameuse montre pour son anniversaire. Bien qu’elle soit d’apparence plutôt masculine, elle est longtemps en permanence à son poignet. Elle lui rappelle de très près celle qu’elle affirme avoir offerte à John peu avant son mariage. C’est une connexion, je dirais d’amour, avec son ancienne famille qu’elle sait toujours être vivante.

Laura a pour sa part en permanence autour du cou un pendentif : une rondelle métallique qui se pose naturellement sur son cœur qui ressemble beaucoup – sans les lettrages – au bijou qu’elle dit avoir reçu de son père adoptif durant sa précédente incarnation.

 

Aider les personnes ayant des souvenirs d’anciennes existences

Après toutes ces années, je constate l’importance de prendre note des récits d’anciennes existences. En écrivant ce qui est raconté et en relisant les texte, il y a comme un travail d’assimilation de l’ancienne identité. La prise de notes facilite également les recherches, puisque ce sont souvent des détails qui permettent de trouver les preuves tangibles du récit. Trouver les éléments matériels est très aidant, puisque cela prouve que toutes les images qui assaillent la personne correspondent bien à quelque chose de réel, ce qui est aussi très thérapeutique. Cela démontre que le porteur des souvenirs n’est pas fou.

Je relève qu’il y a une manière particulière d’interroger qui permet d’accéder directement aux réponses: il faut faire attention de s’adresser toujours au cerveau droit. Pour que Laura puisse répondre, il ne faut pas lui demander de décrire tout de go un camp de soldats, mais on peut, par exemple, lui demander si la tente du médecin était installée à côté de la sienne. A partir de la visualisation de la tente médicale, elle pourra prendre du recul et voyager mentalement dans le camp. Idem quand on lui demande comment se déroulait la journée d’un soldat. Il faut demander : « vous mangiez directement après votre réveil ou vous faisiez déjà un échauffement ? » la réponse sera immédiate. Il faut toujours accrocher son attention sur un lieu, un objet, une activité ou une personne pour qu’elle puisse répondre efficacement.

On peut imaginer l’apport que ce serait pour les historiens s’ils acceptaient de prendre en compte les récits de vies antérieures et de les confronter ensuite aux textes et aux pièces archéologiques trouvées sur le terrain. Une telle complémentarité, dans un profond respect mutuel, pourrait être très aidante pour mieux comprendre notre passé, en particulier celui qui n’a pas fait la grande histoire.

 

Alexandra Urfer Jungen

 

La suite: 29. Souvenirs d’anciennes civilisations

Liste des chapitres de “Une famille (para)normale”