L’Invisible

 

 

 

Comme la plupart de mes camarades, j’ai grandi sans apport du religieux dans ma famille. Les enfants des baby-boomers ne recevaient pas ce savoir automatiquement, surtout pas dans le canton de Genève sous influence culturelle française.

J’ai donc tout appris de l’Islam à l’école, mais je n’ai jamais abordé ne serait-ce qu’une minute de cours sur l’influence du christianisme dans l’histoire, ni même sur la Réforme. Joli paradoxe dans la Cité de Calvin !

 

 

Et pourtant Dieu Présence.

Pas de grand flash lumineux.

Pas de révélation dans un coup de tonnerre.

Juste Dieu comme une évidence.

Depuis quand ?

Depuis toujours ?

Depuis ma naissance compliquée ?

Depuis mes terribles crises d’asthme qui me forçaient à rester sous tente à oxygène à l’hôpital ?

Est-ce qu’un enfant qui vit sur le fil ténu entre la vie et la mort peut avoir accès à l’Autre Côté ? Ou est-ce que cela intensifie son lien avec l’Au-Delà ?

 

La joie de la mort

Je me souviens clairement de mon premier choc face au décès d’un proche : J’avais alors six ans. Ma mère est entrée dans ma chambre pour m’annoncer que mon grand-père (son père atteint d’un cancer du pancréas) était décédé. Mon tout premier réflexe a été de penser : « Chouette ! Quelle bonne nouvelle ! ». J’avais une grande complicité avec mon grand-père et j’étais sincèrement heureuse de ce qui l’attendait, surtout après l’avoir vu très malade dans son lit d’hôpital. Puis, en remarquant la tête de ma mère, j’ai compris que lorsque quelqu’un mourait, il ne fallait pas se réjouir, mais au contraire pleurer. Alors, je me suis forcée à verser quelques larmes pour lui faire plaisir.

Plus tard, les enterrements ont pu m’émouvoir, surtout celui faisant suite au décès par overdose du frère de l’une de mes meilleures amies. J’ai pleuré toutes les larmes de mon corps par compassion pour ceux qui souffraient d’avoir perdu un proche trop vite sans y avoir été préparés. J’ai pleuré pour ceux qui n’ont jamais pu dire ce qu’ils voulaient ou jamais entendu ce qu’ils souhaitaient de la part de la personne décédée. J’ai pleuré pour ceux qui étaient déchirés par la séparation. Mais jamais, absolument jamais, je n’ai pleuré à cause de la mort, parce que j’ai toujours eu la certitude absolue que la mort était une renaissance. D’ailleurs ma mère m’a dit le jour où nous enterrions son frère : « Oh, mais toi, tu n’es pas comme nous ! ».

J’ai le vague souvenir que petite, je pouvais voir des personnes qui étaient invisibles aux yeux des grands. Lorsque de très violentes crises d’asthme m’amenaient à l’Hôpital cantonal de Genève, je les observais derrière les parois de ma tente à oxygène. Ils se reflétaient aussi souvent dans les miroirs, engendrant chez moi une crainte viscérale de cet objet, surtout dans le noir. Une peur qui durera plusieurs dizaines d’année. La nuit, surtout chez mes grands-parents paternels, je les voyais dans ma chambre et ma grand-mère me sermonnait avec exaspération : « Les fantômes, ça n’existe pas ! ».

« Les fantômes, ça n’existe pas ! Les fantômes, ça n’existe pas ». Je me cachais sous ma couette en espérant que la méthode Coué allait faire son effet. Et effectivement, petit à petit, leur image a disparu. Ma demande de ne plus les percevoir a été entendue. J’en ai été soulagée pour un temps. Mais les perceptions ne se sont jamais tues totalement. Un frisson, une impression forte d’être observée. Je savais au fond de moi que je n’étais pas seule. Alors, je me rassurais : « Les fantômes ça n’existe pas !».

Avec mes filles, j’ai essayé de ne pas rééditer mes erreurs. Je n’y suis pas toujours arrivée, m’améliorant un peu avec la cadette sur la base des erreurs pointées avec acidité par l’aînée. Je les ai écoutées, lorsqu’elles m’ont dit qu’elles voyaient des choses que, moi, je ne pouvais pas apercevoir.

 

Les vécus subjectifs de contacts avec les défunts

Comme beaucoup de personnes, j’ai vécu des VSCD à plusieurs reprises. Des vécus subjectifs de contacts avec les défunts. C’est quelque chose de très courant qui touche 25% des endeuillés, 50% des veufs et même 75% des parents ayant perdu un enfant.

Pour ma part, cela s’est surtout déroulé en « rêve ». J’utilise ce mot faute de mieux, puisque ces rêves-là avaient un aspect de réalité et une intensité beaucoup plus forte que les songes normaux. Ils laissaient une marque intense au réveil.

Je me souviens ainsi clairement d’avoir rêvé de mon grand-père paternel dont j’affectionnais la sagesse tranquille. J’ai été triste de sa mort, parce que j’avais le sentiment que nous n’avions pas achevé quelque chose ensemble. En même temps, j’étais heureuse pour lui. De nombreux mois après sa mort, survenue alors que j’avais 18 ans, j’ai rêvé que j’étais dans son petit immeuble de Sainte-Croix dans le Jura vaudois. Je montais les escaliers pour me rendre au grenier, lorsque je l’ai vu en contrebas, devant son appartement. Mon grand-père me regardait. Il était en parfaite santé et il m’a fait un grand sourire. Ses yeux pétillaient. Je voyais bien que ma tête ahurie le faisait rire gentiment. Au bout de quelques secondes, j’ai réussi à articuler :

  • Je croyais que tu étais mort…
  • Mais non ! Je suis vivant !

Ce « Je suis vivant » avait une telle force qu’il m’a profondément marquée et inspirée.

J’ai par la suite fréquemment rêvé de personnes décédées, surtout des membres de ma famille, généralement plusieurs mois, voire quelques années, après leur décès. Toujours lorsque je n’y pensais plus. Le message était plus simple. C’était généralement un « Je vais bien », une fois un « Je ne comprends pas ce qui m’arrive ». Une autre fois encore « Je m’excuse pour ce que je vous ai fait, j’ai compris mes erreurs ».

Ce qui me frappe sans doute le plus, c’est que mon attitude vis-à-vis de ces personnes décédées a toujours été modifiée après ces rêves. Sans réfléchir, je dis « avant (de leur vivant) elles étaient comme cela, mais maintenant (qu’elles sont mortes) elles sont différentes ». Même en me raisonnant intellectuellement, je ne peux pas me détacher de cette pensée. C’est que j’ai cette évidence profondément ancrée en moi depuis toujours : nous existons avant notre naissance et nous continuons à exister après notre décès. Il a toujours été inimaginable pour moi que nous disparaissions dans le néant à la fin de notre vie.

Les expérienceurs qui ont vécu des situations de mort imminente parlent souvent de paysages “très beaux, très coloré, très lumineux ». Ces lieux me rappellent de très près certains de mes songes « réels » où je me promène dans des endroits d’une luminosité incroyable aux couleurs presque vivantes. J’y ressens une plénitude qui me réchauffe l’âme et lui redonne des forces. Il émane de ces lieux un profond sentiment de paix, d’amour et de sérénité. Je me souviens particulièrement de cette fois où j’avais une présence aimante à mes côtés qui me guidait et me faisait découvrir des paysages de bords de mer d’une beauté indescriptible. J’en avais les larmes aux yeux et je ne faisais que répéter « Que c’est beau, que c’est beau, que c’est beau… », incapable d’articuler quoi que ce soit d’autre. Et toute cette beauté m’émouvait, m’émeut encore aujourd’hui, jusqu’aux larmes. J’étais habitée par le sentiment d’être enfin à la maison. Chez moi. Après un trop long exil. Les mots n’existent pas pour décrire ce sentiment de plénitude qui accapare l’être tout entier.

 

Alexandra Urfer Jungen

 

La suite: 3. Co-habiter avec des entités négatives

Liste des chapitres de “Une famille (para)normale”