20. Le Petit Peuple

 

 

Jardin sauvage

Lorsque nous rêvions d’avoir une maison, mon mari et moi avions fait la promesse que nous aménagerions les lieux de manière à pouvoir accueillir le Petit Peuple chez nous. Même si nous ne pouvions pas percevoir sa présence, nous voulions que la Nature ait sa place à notre domicile.

Depuis que nous avons acheté notre maison, nous avons fait tout notre possible pour transformer le terrain alentour en jardin sauvage, remettant en avant les espèces locales qui grandissaient naturellement dans la haie et privilégiant les baies et arbres fruitiers. En quelques années, notre terrain a vu une quantité incroyable d’insectes proliférer dont un nombre impressionnant de pollinisateurs qui trouvent chez nous de quoi manger tout au long de la saison. Les oiseaux sont aussi nombreux, en particulier les moineaux qu’ont dit être en voie de disparition. En réalité, ils n’ont pas disparu : ils se sont tous installés chez nous ! Combien de fois rigolons-nous de nos « arbres à moineaux » qui abritent régulièrement plusieurs dizaines de passereaux.

Évidemment, le manque de temps, d’argent et d’énergie, ne nous permet pas d’optimaliser totalement les lieux comme nous le souhaiterions, mais nous tentons toujours de faire au mieux pour que la vie prolifère sans pesticides. Et l’avantage, c’est que les arbres peuvent s’exprimer pleinement chez nous. Combien de fois les deux filles me font part de leurs réactions face aux divers événements vécus dans le jardin ! Je ne suis plus à ça près. Finalement, les plantes sont des êtres vivants et bien des personnes à travers la planète affirment avec force communiquer avec elles dans un vrai dialogue. La Main Verte n’est-elle pas le signe de cet échange réussi ?

 

Un camp zen

Selon les filles, nos efforts sont récompensés avec la venue chaque année de davantage d’individus appartenant Petit Peuple à notre domicile. Il y a semble-t-il une sorte d’émulation. Les anciens étant bien ici, d’autres viennent les rejoindre. Comme l’explique Samantha : « C’est un peu un camp de vacances zen : huttes de méditation, encens, musique… Ben c’est ça ! ». Des amis de Samantha, eux aussi sensibles à l’invisible, lui disent leur étonnement de « voir » autant de vie chez nous. Moi, je ne les distingue pas du tout, mais parfois, je peux percevoir indirectement leur présence. Comme lorsque je suspends de vieux CD aux branches des arbres pour éviter que les moineaux ne mangent toutes les fleurs du poirier ou toutes nos cerises. Combien de fois voyons-nous un seul de ces disques se balancer avec vigueur, comme poussé par une main invisible. Samantha m’affirme que ce sont des balançoires très prisées et que les petits amis participent ainsi à la sauvegarde nos productions fruitières.

 

Les petits colocataires

Mais les petits invisibles sont aussi nombreux à avoir élu domicile dans la maison-même. Et ce sont de sacrés coquins. Comme cette fois où je retrouve mon mari quelque peu énervé : tous les fils des haut-parleurs sont débranchés au niveau de l’amplificateur. Cela ne peut pas être causé par les chats, puisque toutes les vis qui retiennent les fils sont clairement dévissées et l’appareil se trouve à l’intérieur d’un meuble qui reste fermé en notre absence. Claude comprend immédiatement qu’on a affaire à quelque chose d’inhabituel et il demande, un peu fâché, à Samantha de dire à ses « amis » d’arrêter de faire des bêtises. Samantha pense alors que ce sont des gnomes qui ont fait cette farce. Ils s’amusent souvent à éteindre son ventilateur et ils lui empruntent même un jour sa trousse de secours. Celle-ci réapparaît littéralement sous ses yeux quelques jours plus tard, poussée de la dimension invisible dans notre dimension sur l’arbre à chats. En y regardant de plus près, Samantha remarquera qu’il manque des compresses, le scotch médical, une lingette désinfectante et quelques pansements dans la trousse. Il devait y avoir une urgence…

C’est surtout notre chienne Plume qui fait les frais de leurs plaisanteries. Elle réagit souvent en aboyant d’un coup sans raison ou en se levant brusquement, parfois presque au bord de la panique, alors que, quelques secondes auparavant, elle était tranquillement en train de dormir près de nous au salon. Samantha nous donne un soir la raison de ces étranges réactions en grondant gentiment notre chienne : « Mais enfin ! Il t’a juste frôlée ! ». Apparemment, les gnomes s’amusent à aller le plus près possible de la chienne pour la faire réagir. C’est semble-t-il un jeu qu’ils apprécient beaucoup ! Laura voit même un jour des gnomes s’amuser à lui tirer la queue ! Une autre fois Samantha entend notre chienne pleurer. Un gnome s’est posté devant elle sur le palier de la porte et il l’empêche de sortir de la cuisine. Nous voyons aussi souvent les chats suivre des yeux des choses que mon mari et moi-même ne percevons pas.

Ces êtres décident souvent de s’installer dans les coins tranquilles des maison. Samantha m’apprend ainsi que les gnomes venus vivre chez nous résident désormais dans notre tout nouveau grenier qu’ils trouvent particulièrement confortable (surtout le duvet à disposition !).

 

Dans les bois

Mais le Petit Peuple est surtout présent dans la Nature. Payerne a pour coutume d’organiser une demi-journée pour planter des arbres dans les bois de la commune avec les classes ayant des enfants fêtant leurs 7 ans dans l’année. Un moyen pédagogique de participer au renouvellement de la forêt. Samantha a ainsi eu la chance de participer à ce programme qui lui a permis de planter des épicéas avec ses camarades.

Bien des années plus tard, Samantha demandera à préparer ses examens de fin d’année sur les bancs de « Blanche Neige », le refuge de la commune situé à proximité de la plantation. C’est en fait une petite cabane avec un agréable couvert. Je la conduis plus d’une fois à cet endroit pour qu’elle puisse réviser tout en se ressourçant. A mon retour, elle est toutes fière de m’emmener auprès de « son » arbre, l’un des plus grand et des plus touffus qui ait été planté par les classes neuf ans auparavant. Elle sait toujours où il se trouve malgré le paysage qui, à mes yeux, ne cesse de changer. Moi, je serais bien incapable de savoir où il se trouve au milieu de la plantation !

Samantha m’explique qu’elle est toujours en connexion avec « son » arbre. Il y a un lien spécial avec lui. Elle les aime tous, mais, le lien qu’elle a avec celui-là est d’un tout autre ordre. Elle sait qu’elle est l’une des seules à avoir gardé ce contact. C’est quelque chose d’assez peu courant… lui ont dit les autres arbres ! Elle m’explique qu’il y a une énergie particulière qui les lie. Ils savent chacun quand l’autre est là. Au final, on est vraiment dans une amitié forte humain-végétal. Samantha aime aussi se rendre à cet endroit pour retrouver ses amis du Petit Peuple, très nombreux en ces lieux.

Mais Petit Peuple ne signifie pas non plus qu’on a affaire à des êtres éthérés. Quand Laura me parle des fées, il s’agit d’entités ayant la capacité de se défendre seules de toute menace. « Les fées que j’ai rencontrées, elles sont « vénères » ! ». Elle me décrit des petits êtres très combatifs d’environ 30 centimètres. « Si elles se mettent à plusieurs, environ une dizaine, elles peuvent bouffer un homme. Elles croquent sévère ! ».

 

Preuve photographique

Le 9 septembre 2020, j’ai la chance d’avoir enfin une preuve physique de la présence de ce Petit Peuple. Ce n’est pas moi qui initierai le contact, mais lui. Ce jour-là, je vais promener ma chienne au bord d’un petit cours d’eau qui a été renaturalisé près de la Gare de Trey, un hameau proche de mon domicile. L’endroit est bucolique et particulièrement paisible. Je décide de prendre quelques photos de ce magnifique espace avec mon téléphone. Et soudain, l’appareil que j’ai en main se déclenche tout seul. En regardant les images prises subitement, j’ai la grande surprise de découvrir une série de photos remplies d’orbes dans lesquelles tous les paysages environnants ont totalement disparu.

En y regardant de plus près, deux visages non-humains apparaissent. Et voilà ce que je découvre en recadrant et en poussant un peu la clarté et la couleur : Deux têtes qu’on distingue particulièrement bien en prenant un peu de recul.

Pour moi, il n’y a pas de doute. C’est bien un coucou du Petit Peuple qui vient m’apporter la preuve que j’attendais. Je leur en suis très reconnaissante.

 

Alexandra Urfer Jungen

 

La suite: 21. L’écriture et la langue d’En-Haut

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