1. Être différente, se sentir différente

 

Aussi loin que je m’en souvienne, j’ai toujours voulu comprendre ce monde qui m’apparaissait si inintelligible. Et depuis toute petite je me suis échinée à trouver des réponses à ces questions qui ne cessaient de me tourner en tête :

  • Qu’est-ce que la mort ?
  • Qu’est-ce que la vie ?
  • Qu’est-ce que la réalité ?
  • Quels sont les mécanismes de fonctionnement de ce monde.

Certaines filles passent leur temps à se préoccuper de leur maquillage et de l’endroit où elles vont aller acheter leurs vêtements derniers cris. Moi, j’ai toujours perçu cela comme étant d’une futilité sans intérêt. Par contre, j’ai sans cesse été poussée à comprendre ce qui m’entoure et j’ai encore aujourd’hui une curiosité infinie à décrypter les rouages de ce monde. Ce qui m’intéressait dans mes jeunes années était ainsi la plupart du temps à des années-lumière de ce qui préoccupait mes camarades. « Elle est bizarre, celle-là ! ». Pas étonnant que je n’aie eu qu’une seule hâte à ce moment-là : être enfin adulte. Avec comme corollaire, comme c’est le cas pour beaucoup de gamins hypersensibles, d’avoir vécu toute ma scolarité comme une longue et terrible traversée de l’Enfer.

 

Compréhension globale

J’espérais profondément que je pourrais enfin m’épanouir en Faculté de Science Politique à l’Université de Genève. J’imaginais avec enthousiasme qu’on m’apprendrait  à comprendre et à analyser en profondeur cette réalité qui m’entourait. J’étais bien naïve ! Les profs régurgitaient comme des robots leurs cours sans les modifier d’un iota alors que nous vivions en direct la chute du Mur de Berlin. J’ai compris alors que, là aussi, dans l’enseignement élitaire comme à l’école primaire, on ne nous demande pas de réfléchir, mais de recracher à la virgule près le cours (et la vision) du prof si on veut espérer avoir de bonnes notes. Je redoublerai ma première année pour ne pas avoir compris suffisamment tôt ce mécanisme. Mais l’Uni a aussi du bon. Je découvre alors un nouveau mode de compréhension globale qui m’est toujours indispensable actuellement. Je m’étonne que plus personne n’essaie aujourd’hui d’appréhender ce qui se passe dans le monde comme je l’ai appris: en utilisant plusieurs clés d’analyse simultanément, telles que l’histoire, l’économie, la politique, la géographique, etc. Qui se pose encore toutes ces questions pour comprendre globalement un problème ?

J’ai toujours eu la même approche face aux phénomènes inexpliqués. Que dit la science ? Que nous apprennent les recoupements de millions de témoignages (un échantillonnage plus que représentatif !) ? Que nous est-il dit dans les récits historiques ? Et dans les religions ? Les mythologies ? La philosophie ? Que racontent l’architecture et l’art anciens ? Que nous disent les peuples premiers qui n’ont pas été dénaturés par la technologie ?

 

Rêves et mondes parallèles

Dès l’âge de dix ans, je piochais allègrement dans les ouvrages consacrés aux phénomènes inexpliqués que mon père affectionnait. Mais déjà bien avant j’étais habitée par le sentiment qu’il y avait à côté de notre monde visible et palpable, une réalité bien plus complexe qui donnait beaucoup plus de sens à ce monde.

Paradoxalement, je me suis toujours sentie plus à l’aise dans les réalités oniriques que dans celles du soi-disant éveil. Je suis ce qu’on appelle une rêveuse lucide. Dans mon rêve, je sais que je rêve. Alors tout m’est possible. A force de travail de nuit en nuit, j’ai appris à transporter des objets, même très gros, par télékinésie, j’ai la capacité de traverser des murs et je peux sauter sans crainte depuis n’importe quelle hauteur. C’est amusant de pouvoir jouer comme cela dans les rêves, mais du coup quelle plaie de vivre dans ce qu’on nomme la « réalité » ! Une « réalité » que j’ai toujours eu de la peine à intégrer comme telle. Je garde, encore aujourd’hui, l’impression que la vie dans ce monde est finalement le rêve. D’ailleurs, l’impression d’irréalité de mes souvenirs était tellement forte lorsque j’étais enfant que mon bien le plus précieux étaient mes albums photos. Eux seuls pouvaient me confirmer que ce dont je me rappelais appartenait vraiment à cette réalité. Et bien des années plus tard, après avoir vu le film Matrix, je suis sortie du cinéma en état de choc, répétant sans fin à mon mari : « C’est ça ! C’est exactement ça ce que nous vivons sur Terre! ».

Je me souviens ainsi comme si c’était hier de ce rêve qui disait tout le paradoxe des vies inter-dimensionnelles : j’avais alors une dizaine d’années. Dans ce songe, j’étais en classe avec une amie et nous étions en train de nettoyer nos pinceaux après avoir fait de la peinture. Je lui répétais avec conviction : « Tu sais, nous ne sommes pas seulement ici. Nous sommes aussi ailleurs en train de dormir ». Et je me dis aujourd’hui que cette phrase avait aussi force symbolique. Comme dans « Dune » de Frank Herbert, « le dormeur ne devrait-il pas se réveiller » pour accéder à ce qu’il est vraiment ? En tous les cas, j’en ai gardé dès toute petite la conviction que les « mondes parallèles » existaient bel et bien, jusqu’à m’en faire railler par tous mes camarades. J’ai fini par respirer bien des années plus tard lorsque j’ai enfin vu la science confirmer mon intuition.

 

Alexandra Urfer Jungen

 

La suite: 2. L’Invisible

Liste des chapitres de “Une famille (para)normale”