5. Chancy bis

 

Déménagement

Courant 2002, nous quittons enfin notre invivable logement pour un autre toujours situé dans la commune de Chancy. Avant de quitter définitivement les lieux, Cathy, notre amie naturopathe, et Claude mettent en place un rituel dans le vide-sanitaire sous l’immeuble pour protéger les lieux. Avec les années, nous avons enfin appris à mieux gérer les entités négatives, mais c’est trop tard pour nous. Nous n’avons qu’un souhait : partir le plus vite possible. Par contre, nous jugeons important de faire tout notre possible pour assainir l’endroit. C’est d’autant plus important que ce sont ma belle-sœur et son mari qui vont reprendre l’appartement.

Au final, eux ne se plaindront jamais de leur logement. Au contraire. Ils s’y sentiront tellement bien qu’ils décideront de l’acheter. Est-ce que la purification des lieux menée par notre amie a fonctionné au-delà de toute espérance ? Est-ce que les entités qui nous attaquaient nous avaient, nous, dans le collimateur et non d’autres personnes ? A moins que ce ne soit notre sensibilité à l’invisible qui faisait de nous des proies faciles contrairement aux nouveaux locataires ? Je n’ai pas de réponse. Peut-être s’agit-il au final d’un grand mélange de tous ces éléments. Mais il est clair que des personnes fonctionnant quasi-exclusivement au niveau du cerveau gauche rationnel ont nettement moins de risques d’être confrontées à ce que nous avons subi.

Nous vivons cependant un dernier rappel de notre ancien logement lorsque nous déballons nos affaires. Un souffle fétide et effrayant nous saute à la figure quand nous ouvrons un carton. Dedans, il y a des bougies noires que nous avions récupérées en deuxième main. Le carton et son contenu iront immédiatement à la poubelle. Pas la peine de ramener à la maison ce qui nous a fait quitter notre précédent appartement !

 

Rencontres désincarnées

Depuis lors, les choses sont calmes, ce qui ne nous empêche pas de remarquer le soir ou la nuit que les rues de notre village sont parfois « chargées ». Sous-entendu : il y a des choses « pas très sympas » qui se baladent. Mais notre logement reste paisible, bien loin de tout ce que nous avons vécu dans le précédent appartement. Et tant mieux, puisque je suis enceinte.

Avant la naissance de Samantha, nous passons encore nos dernières vacances à trois dans un mayen valaisan. L’invisible encore. Nous réalisons très vite que nous ne sommes pas seuls sur place. Un papy ronchon désincarné a décidé que nous n’avions rien à faire chez lui. Je dois dormir avec Laura qui est terrorisée par la présence. Je négocierai finalement dans une relation de cœur à cœur avec l’ancien propriétaire des lieux alors que Claude et ma fille sont en plaine pour voir les feux du 1er Août. J’essaie de faire comprendre à notre hôte que nous ne sommes pas ses ennemis. Je tente surtout de lui faire réaliser combien la vie qu’il mène, mort chez les vivants sans pouvoir toucher ses biens, sans avoir la possibilité d’interagir avec son entourage, n’est pas une existence digne de ce nom. J’ignore s’il finit par partir ou s’il décide de nous tolérer, mais la situation s’apaisera totalement par la suite.

Nos rencontres avec les désincarnés sont à partir de là nettement plus sympathiques. Un homme qu’on bouscule en reculant dans le supermarché. « Désolée ! ». Oups ! Il n’y a personne ! Claude ressent lui aussi ces présences.

Seul événement réellement étrange dans notre logement : L’observation que je fais une nuit depuis la chambre à coucher d’une étrange boule rouge qui traverse le couloir. Comme je n’ai pas mes lunettes et que je suis myope comme une taupe, je crois que c’est Laura qui s’amuse avec sa nouvelle lampe de poche aux filtres de couleurs. Ce n’est qu’après-coup que je réaliserai que c’était une présence.

 

Les savoirs innés

Samantha naît en 2003, alors que Laura a presque 7 ans. Je suis très sollicitée par ce bébé. Même si elle a des amis, mon aînée reste souvent solitaire et elle adore passer son temps au cimetière voisin. Normalement les enfants sont interdits en ce lieu, mais personne ne lui reproche quoi que ce soit. Au contraire. On apprécie cette gamine étonnante qui fait le tour des tombes, les nettoie et les fleurit, parle aux morts et leur raconte sa journée avec un étonnant naturel.

En parallèle, Laura continue à avoir des impressions bizarres liées au Japon. Elle s’énerve en affirmant qu’elle devrait être capable de faire les mêmes mouvements que Lara Croft et fulmine de ne pas réussir à dessiner exactement ce qu’elle a dans la tête, alors que, selon elle, cela devrait lui être très facile.

A la même période, des petites frappes la martyrisent à la sortie de l’école. Je dois attendre qu’elle soit adulte pour comprendre l’ampleur de ce qu’elle a vécu à ce moment-là avec des menaces au couteau et sur notre famille. Pourtant elle n’a pas si peur. Ce qu’elle craint par-dessus tout, c’est de les tuer en répliquant, parce qu’elle n’a en tête que des mouvements mortels pour se défendre. Évidemment, nous ne pouvons pas la croire. Comment une petite fille pourrait-elle tuer des plus grands qu’elle ? Et pourtant…

Lorsqu’elle a une dizaine d’années, nous suivons ensemble les fantastique cours Pallas d’auto-défense pour femme qui apprennent à Laura à réagir de façon proportionnées. Cela mettra immédiatement fin aux attaques. Elle gagnera même le respect de nombreux garçons qui l’appelleront dès lors pour faire avec eux des jeux de guerre au bord de La Laire. Avec leur perpétuelle frustration : Laura gagne toujours et elle se moque d’eux lorsqu’ils sont égratignés. Elle, elle se soigne avec de l’argile et de la mousse. Elle revient souvent boueuse et les vêtements déchirés de ses escapades. Comme nous devons nous serrer la ceinture, cela engendre des tensions à la maison. Une raison de plus. Ma fille se sent incomprise et cela explose souvent. Nous naviguons entre deux mondes qui peinent à se rejoindre.

A côté de cela, Laura fait de l’équitation dans une ferme près de chez nous. Sa propriétaire la prend rapidement d’affection en remarquant cette gamine sans peur au milieu des chevaux, surtout au milieu des plus grands et des plus nerveux qui l’acceptent sans broncher. Laura a une excellente assiette et elle sait se faire respecter. Grâce à sa maîtrise, elle sera l’une des seuls à pouvoir monter un jeune étalon alors qu’elle n’a au final que quelques leçons d’équitation à son actif. Elle a une familiarité avec la monte équestre qui va au-delà d’une facilité à apprendre.

Constat identique lorsqu’elle suit des cours « découverte » d’escrime dans le cadre scolaire. Très vite, elle bluffe son prof avec son aisance à se déplacer et à manier son arme. C’est pratiquement toujours elle qu’il prend comme partenaire pour enseigner auprès des autres élèves. Un jour, Laura réussit même, instinctivement, à esquiver une de ses attaques en se mettant de côté et à le toucher à l’épaule à un point précis qui ensuite ne lui permet plus de tenir correctement son épée. Décelant chez elle un talent rare, il demande à plusieurs reprises à Laura de suivre les cours réguliers. Elle refuse. Elle s’ennuie ! Les mouvements d’escrime lui semblent artificiels et les armes totalement inefficaces. Croyant que c’est moi qui refuse de l’emmener à cause des trajets Chancy-Le Lignon, il discute avec moi. Je confirme au grand regret du professeur que c’est Laura qui renonce à aller plus loin dans les cours, faute d’intérêt.

 

La nounou du Ciel

A cette époque, comme je suis en formation à côté de mon emploi à 50%, je dois régulièrement faire appel à mon entourage pour garder les filles lorsque ma maman ou ma belle-mère sont indisponibles, en particulier pour s’occuper de Samantha encore toute petite. Un de mes amis au chômage accepte alors de me dépanner à plusieurs reprises. Je devrai attendre d’avoir près de cinquante ans pour découvrir qu’il n’assumait pas du tout le baby-sitting de la cadette. Il préférait se balader avec Laura et notre chien Coockie, laissant Samantha seule à la maison !

Ma cadette n’en est pourtant nullement traumatisée. En fait, elle n’a jamais été seule. Il y a toujours eu à ses côté une adorable nounou au physique typiquement brésilien. Elle est mince, a les cheveux noirs attachés en arrière et porte une frange sur le front. Je n’ai absolument personne dans mon entourage répondant à ce signalement. Les seules qui pourraient correspondre un minimum sont plutôt enrobées.

Cette étrange personne n’est pas seulement présente pour attirer l’attention de Samantha et lui éviter d’avoir peur, elle est aussi capable de la changer et de lui donner à manger. Ma cadette est persuadée que cette nounou a été envoyée auprès d’elle depuis En-Haut pour assurer ses besoins de base et la protéger de manière à ce qu’il ne lui arrive rien. Il s’agit en d’autres mots d’une entité qui a la possibilité d’agir dans la matérialité. Ma fille est certaine qu’elle n’est pas la seule à avoir bénéficié de ce type de service. Comme pour beaucoup d’autres, il fallait qu’elle puisse grandir sereinement, car, me dit-elle souvent, elle a une mission importante à mener dans le futur.

 

Alexandra Urfer Jungen

 

La suite: 6. La foi en un Autre

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