12. Vie antérieure à Brooklyn

 

Depuis toute petite, Samantha appelait ses poupées « Elisabeth » ou « Eli ». Nous trouvions cela étrange, puisque personne ne portait ce prénom autour de nous et qu’elle ne regardait pas d’émission télévisée avec des personnages s’appelant ainsi. Elle ajoutait aussi souvent qu’avant, elle était « anglaise », ce qui englobait à ses yeux toutes les personnes anglophones. Mais il y avait peu d’autres éléments particuliers.

Et puis, à l’âge de 10 ans, elle est renversée sans réelle gravité sur un passage piéton de notre petite ville. C’est alors que des souvenirs d’une précédente existence arrivent en masse. Elle se rappelle avoir été new-yorkaise. Morte à l’âge de 28 ans, shootée sur un passage piéton. Samantha est submergée d’émotions. Elle veut retrouver sa fille, son mari, son travail et, surtout, son statut d’adulte. Elle réalise à ce moment-là que toutes les images de Brooklyn qu’elle a toujours eues en tête viennent de là.

 

Réel ou non ?

Avec Claude, mon mari, nous essayons de comprendre ce qui arrive à notre fille. Impossible que cela soit une mémoire génétique, puisqu’aucun de nous n’a d’attache familiale directe avec les Etats-Unis. De plus, les souvenirs de Samantha s’arrêtent à l’année 2000.

Est-ce qu’elle a accès à la mémoire d’une femme décédée par possession ou par captation de ce que Jung appelle la mémoire universelle ? Samantha est péremptoire : c’était bien elle, son âme, qui a traversé l’océan atlantique pour s’installer dans notre famille. « Je suis sûre et certaine que c’est une autre vie, parce que je ne me vois jamais en entier, sauf quand je me regarde dans le miroir. Je vois les personnes en face de moi dans mes souvenirs ». Ce qui n’empêche pas les doute… vite éteints : « Des moments, je me demande si c’est vrai, mais je sais que c’est vrai, parce que ce sont des souvenirs comme toi, maman, quand tu te rappelles de l’école quand tu étais jeune.»

Il y a une cohérence totale dans son récit qui ne bouge pas dans le temps. Il est seulement complété par les savoirs qui augmentent avec l’âge, comme le fait qu’elle parle de New-York avant de cibler Brooklyn.

Je constate surtout que le récit de vie raconté par Samantha est au final d’une banalité confondante. Quel intérêt pourrait avoir un enfant à inventer une telle histoire ? Et puis, il y a cette peur viscérale des passages piétons et de la circulation, en particulier des voitures arrivant rapidement sur sa gauche. D’où peut elle provenir autrement ?

 

Recherche d’aide

A cette période, j’ai la chance de pouvoir éditer mon premier roman fantastique : « Nuage noir sur le Code » aux éditions Indigo Montangero aujourd’hui disparues. Je me lie d’amitié avec l’éditrice, Nina Montangero, qui a elle aussi des capacités particulières. Elle organise d’ailleurs de nombreuses conférences, parmi lesquelles une rencontre pour ce qu’on appelle les « enfants indigo ». Ces enfants qui seraient une nouvelle génération aux capacités particulières. Personnellement, j’ai plutôt tendance à penser que les anciennes générations utilisaient elles aussi fréquemment leurs capacités hors-normes et que nous avons peu à peu perdu ces dons au fil du temps par le formatage scolaire et sociétal, ne laissant que quelques personnes avec des compétences hors-normes au-delà de leurs sept ans.

Nous passons une soirée exceptionnelle et forte en émotion. Samantha est entendue et accueillie. Elle se lie même d’amitié à ce moment-là avec une jeune femme habitant Aigle qui la mettra plus tard en contact avec des jeunes de sa région ayant eux aussi certaines capacités particulières. Je ferai durant les années suivantes de nombreux trajets pour emmener ma cadette chez ses nouveaux amis du Chablais vaudois.

Mais l’état émotionnel de Samantha ne s’améliore toujours pas. Face au désespoir de ma fille, je contacte l’INREES à Paris en 2014, le seul endroit que je connais alors qui pourrait comprendre ce que vit ma fille et lui apporter un soutien. La journaliste Miriam Gablier, connue notamment pour son ouvrage sur la réincarnation, a la gentillesse de prendre contact avec nous et elle propose d’organiser un échange téléphonique avec Samantha en octobre. Sur ses conseils, je contacte le Professeur Jim Tucker aux USA. C’est le spécialiste mondial des souvenirs de réincarnation chez les enfants. Il relève l’importante quantité de souvenirs rapportés par ma fille, mais il n’a malheureusement pas les moyens financiers et matériels de mener une enquête poussée et de l’aider.

Samantha ne va toujours pas mieux. Miriam Gablier me conseille dès lors d’appeler ISSNOE à Genève. L’Institut Suisse des sciences Noétiques est bien connu pour ses travaux sur les sorties de corps, en particulier avec l’expérienceur français Nicolas Fraisse. Je découvre que le champ d’investigation de cet organisme va bien au-delà et les deux chercheurs proposent à mon grand soulagement de rencontrer Samantha. Nous avons notre premier rendez-vous le 20 novembre 2015 à Genève avec Claude Charles Fourrier et Sylvie Déthiollaz. Je suis impressionnée que des chercheurs de leur trempe acceptent de nous voir. Ce sera le début de très nombreux échanges.

Au final, je me dis que j’ai de la chance. Je peux m’appuyer sur un cursus universitaire et les compétences que j’ai acquises à la Télévision suisse romande, notamment comme assistante de production et, surtout, comme toute petite journaliste dans la presse locale. Je sais chercher les informations et contacter les gens qui peuvent nous aider et nous fournir des réponses. Mais je reste exaspérée par notre société qui refuse d’entendre les vécus particuliers. Combien y a-t-il de personnes confrontées à des phénomènes hors-normes qui les affectent parfois profondément et qui ne savent tout simplement pas où s’adresser, ni que faire pour les comprendre. Sans oublier la peur tout à fait légitime d’en parler au monde médical qui enferme rapidement dans la case « psychose » tout ce qu’il ne comprend pas. Comment être réellement accompagné dans son désarroi quand on ne peut pas aborder pleinement ce qui pose problème ?

 

D’importants soutiens

Samantha, elle, souffre et elle réalise qu’elle est vraiment « seule de son espèce ». Elle me dit un jour : « Je n’ai pas le sentiment qu’il y en a beaucoup comme moi. C’est vrai que nous sommes tous uniques, mais là, c’est spécial. J’aimerais beaucoup rencontrer des gens qui sont vraiment comme moi : qui ne font pas que voir et entendre les esprits, mais qui ont des souvenirs, des tas de choses comme ça. Avoir des vraies discussions, même si ce sont des adultes, je m’en fiche. Je préfère même les adultes que les enfants. » Et pas de chance ! Elle ne s’entend pas avec la seule personne de son entourage « comme elle » (ou différente comme elle) : sa sœur. Laura et Samantha sont comme l’eau et le feu à cette époque. C’est toujours très explosif quand elles sont ensemble, ce qui m’oblige à les accompagner séparément.

Durant cette période, ma cadette ne supporte plus non plus son état de pré-ado. Avoir les mémoires d’une adulte dans un corps d’enfant est insupportable : « Dans cette vie-là, il y a tout ce qui passe en boucle : dodo, école, fini, manger dodo. Et ça, c’est insupportable. Je voudrais que ça s’arrête. »

Pendant ces moments très difficiles, et même l’ensemble de sa scolarité, Samantha est accompagnée par son fantastique médecin généraliste. Il la retirera autant que nécessaire de l’école pour lui permettre de se soigner, de se reconstruire et d’étudier en toute sérénité. A juste titre, puisque Samantha terminera l’école obligatoire avec un « Prix de meilleur résultat ». Claude Charles Fourrier accepte lui aussi de l’accompagner officiellement.

Nous bénéficions particulièrement des rencontres de groupe mises sur pied par ISSNOE. Samantha s’épanouit en pouvant partager ce qu’elle vit. La qualité de l’écoute dont elle bénéficie durant ces rendez-vous est exceptionnelle, tout comme ce sera le cas pour Laura ensuite. Samantha a le plein soutien des adultes présents et elle peut à son tour les aider, grâce à ses mémoires et à son parcours. Ces rencontres de groupes se révèlent essentielles à son équilibre en lui donnant chaque fois un coup de « booste » bienvenu. « C’est tellement chouette de rencontrer des gens comme ça ! C’est le seul endroit où je peux être moi-même. Comme j’ai toujours vécu avec cette normalité [paranormale], c’est agréable de ne pas avoir à se forcer de se dire que tout ça est dans sa tête ».

Je réalise à ce moment-là l’importance vitale de ne pas être seul face au vécu de phénomènes particuliers. On nous laisse entendre depuis la plus tendre enfance que le paranormal n’existe pas, alors que la majorité de la population a vécu au moins une fois dans sa vie un événement que la science matérialiste n’explique pas. Je me dis qu’il serait important que de tels groupes d’échanges puissent essaimer largement pour pouvoir s’entraider efficacement.

 

Savoirs d’avant

Durant toute cette période, les mémoires de vie antérieure à Brooklyn s’amplifient. Samantha est capable de jouer des airs sur le piano sans avoir jamais suivi de cours de musique. Elle improvise des morceaux, bien souvent nostalgiques à deux mains, avec une facilité déconcertante. Elle se souvient soudain de recettes de cuisine que je ne connais pas. Elle impressionne surtout positivement les jeunes mamans par sa compréhension naturelle des tout petits. Alors qu’elle a 12 ans, nous discutons même ensemble de nos accouchements respectifs. Samantha me pose des questions sur le mien pour comparer : « Tu es restée combien de temps à la maternité ? Tu avais quoi dans ton sac ? Moi c’était un accouchement sans problème ! »

Elle comprend aussi pourquoi l’âge de 28 ans lui a toujours paru si important. Je m’étonnais d’ailleurs. Pourquoi pas 20 ou 30 ? Mais elle se souvient clairement être morte à l’âge de 28 ans durant son existence précédente. Elle a envie de passer cette date limite. « J’ai vécu mon accident et ma mort comme une très mauvaise surprise. Un mauvais coup du sort. Je ne pensais pas mourir si jeune. Même maintenant, je revois souvent l’accident dans mes souvenirs. »

Autre élément: sa passion pour tout ce qui concerne les premiers secours. Depuis l’âge de dix ans, elle est jeune samaritain et tout le monde en classe, professeurs et élèves, savent qu’il faut se diriger vers elle en cas de bobos à l’école. Elle ne part jamais sans une trousse de secours dans son sac. Une manière de conjurer les mauvais sorts ? Elle est aujourd’hui littéralement passionnée par la médecine. Mais pas question pour elle de suivre un cursus médical. Elle ne veut pas perdre ses compétences et sa passion à cause de la formation. En attendant, ses livres de chevet sont des livres médicaux universitaires que je déniche dans les boutiques de secondes mains fribourgeoises et vaudoises. Samantha a désormais tellement acquis de connaissances dans ce domaine, en particulier dans les pathologies sortant des tableaux cliniques classiques, que je me demande souvent si elle ne ferait pas une meilleure diagnosticienne que la plupart des médecins qui officient à l’hôpital avec leur formatage estudiantin. C’est en tout cas, un petit clin d’œil à son personnage de série télévisée préféré : Dr House dont elle connaît chaque épisode par cœur à force de les avoir visionnés en boucle.

 

Autres existences antérieures

Mais le plus surprenant, c’est que les mémoires de Samantha ne s’arrêtent pas à ce qui pourrait être une vie antérieure. Elle est catégorique lorsqu’elle me parle d’avant : elle a encore eu une autre existence peu de temps avant Brooklyn durant laquelle elle avait une sœur appelée Leïla. Plus encore : elle m’explique qu’avant ses trois dernières incarnations, elle a passé une éternité à travailler En-Haut. Une activité qu’elle aimait particulièrement. Elle n’aurait sans doute pas lâché ce job sans une profonde motivation : « Si je me suis incarnée sur la Terre durant ces trois dernières vies, c’est parce que le «Big Boss » [Dieu] m’a dit : « Retourne sur la Terre, parce que tu as un boulot à faire ! ».

Et ses souvenirs peuvent encore remonter avant. Bien avant : « Je me souviens d’avoir vécu des millénaires avant Jésus-Christ dans un pays chaud qui avait un paysage de savane africaine avec plus d’arbres qu’aujourd’hui. J’étais une sorte de singe blanc et noir plutôt petit (entre 30 et 40 cm) avec de grandes oreilles et une longue queue. Au niveau de l’aspect, c’était un mélange entre un lémurien et un singe. J’avais une très grande famille. On avait un régime omnivore. Le grand-père était le chef, puis son fils, etc. »

Elle complètera plus tard :

« Je suis morte super jeune même si on n’avait pas une espérance de vie extraordinaire. J’ai été lamentablement écrasée sous la patte d’un mastodonte (je me rappelle qu’il avait des poils) qui allait rejoindre un ami. C’était comme une fourmi qui meurt sous les pas d’un être humain ! »

Beaucoup plus surprenant, ce récit d’une existence qu’elle affirme être encore antérieure : « Il me semble être montée sur des dinosaures avec un ami et une amie de chaque côté. Nous avons une forme humaine. C’est la même relation que nous avec les chevaux. Je vois toutes sortes de dinosaures passer à côté de moi, mais ils ne sont pas dangereux. Les plus dangereux ce n’étaient pas les tyrannosaures, mais les tous grands (brontosaures et autres), parce qu’ils ne faisaient pas attention à là où ils posaient les pieds ! On vivait dans des huttes rondes en herbes. Le plus mignon, c’est la naissance des petits quand ils sortent des œufs ! »

Imagination ? Influence de films ? Et pourtant, la vision est claire : pas de belle cité de type Renaissance comme dans « Dinotopia », seulement des huttes rondes faites en végétaux. Et les plus dangereux des dinosaures ne sont pas les Raptors ou les Tyrannosaures comme pourrait le laisser penser le film « Jurassic Park », mais des géants maladroits qui écrasent tout sur leur passage.

Je repense dès lors à l’archéologie interdite. Les pierres d’Ica représentent une civilisation développée de géants ayant apprivoisé des dinosaures. Il y a aussi, gravées à jamais dans le sol, toutes ces traces de pas humains (parfois même avec des espadrilles) côtoyant celles de dinosaures. Les anachronismes archéologiques par rapport à ce que l’on raconte de notre histoire et de notre préhistoire sont multiples et sont répertoriés à travers la planète. Ce pourrait-il que Samantha confirme indirectement l’existence d’une civilisation humaine antérieure à la nôtre qui aurait côtoyé des dinosaures ? Ou alors, si ce qu’elle raconte est vrai, est-ce qu’en certains lieux de la planète, des dinosaures auraient pu survivre aux cataclysmes de fin de règne bien plus longtemps que nous ne le pensions ?

 

Alexandra Urfer Jungen

 

La suite: 13. Une ado au milieu des esprits

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