L'APPEL DU LARGE
Un petit bol d'air dans nos croyances
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La Main
Récit d'un exilé
Les Anges-mages
Lulu, la chenille
Michaël
La petite chatte qui voulait tellement mourir
Récit d'un exilé
 

Un besoin.

Je crois que tout a débuté ainsi.

Le besoin de savoir ce que je valais. De savoir qui j’étais vraiment. De mieux me connaître et de mieux m’assumer.

Besoin aussi de découvrir de nouveaux horizons, sans doute moins paradisiaques que ce monde qui est le mien, mais en même temps abondants de richesses introuvables dans ma Patrie.

Alors, j’ai décidé de partir. Partir avec un « oui » assumé.

Je voulais aller au fond des choses. Au fond de ce que je suis. Et peut-être poser, moi aussi, une pierre à l’édifice humain.

 

J’ai fait le bilan.

J’ai trouvé mes buts.

J’ai accepté le voyage.

J’ai assumé l’exil.

Et je suis parti à la recherche d’une famille d’accueil.

J’ai longtemps erré, puis j’ai fini par sentir, là, au creux de mon âme, un homme et une femme qui me donneraient assurément ce que je recherchais si ardemment.

C’est avec eux que j’allais poser mes premiers pas dans ce monde et avancer sur le chemin de la connaissance.

Eux, je les ai longuement observés avant de les contacter et, parfois, je remarquais un frémissement, comme s’ils sentaient mon regard posé sur eux.

Je pensais alors :

« Je vais vous rejoindre. S’il-vous-plaît, aimez-moi ! ».

Et souvent, ils me souriaient, comme s’ils avaient pu m’entendre.

Cela m’a rassuré et cela m’a donné la force et l’énergie de continuer.

Car, j’étais sûr de mon choix.

Absolument.

Sans le moindre doute.

Et pourtant, cela a été un déchirement terrible de partir.

Tout ce que je laissais derrière moi. Mes amis, mes mentors et l’Amour.

Cet Amour qui me poussait pourtant à tout quitter pour comprendre si, moi aussi, je l’avais en suffisance cette foi et cet amour.

Tout quitter pour savoir surtout si j’arriverais à être un véritable être humain dans un monde trop souvent inhumain.

J’ai attendu le dernier moment pour enfiler le scaphandre autonome qui me permettrait d’interagir dans ce nouveau monde.

Je me suis senti effroyablement à l’étroit. Coincé. Presque emprisonné. Soudain incapable de faire ce qui me semblait évident quelques minutes auparavant.

Heureusement, je n’avais pas besoin de m’agiter et le lieu était agréable. Température idéale. Atmosphère douce. Sons feutrés et un « boumboum » rassurant en constant bruit de fond.

J’ai fini par apprécier mon premier contact avec ce monde, mais, en même temps, j’avais hâte de passer aux choses sérieuses.

Je voulais aller plus loin.

Alors, j’ai décidé qu’il était temps pour moi d’avancer. De visiter le monde.

La route était étroite. Pénible. Un vrai parcours du combattant.

Un moment, j’ai presque hésité : n’avais-je pas été trop prétentieux ? Avais-je finalement besoin de vivre cette aventure ?

Je n’étais qu’au tout début du chemin et déjà l’angoisse de la séparation me tenaillait.

La peur aussi. Mon cœur battait plus vite que les battements d’ailes d’un colibri.

Qu’allais-je découvrir au bout de ce tunnel ?

Et puis, j’ai senti que les solutions à mes questionnements se trouvaient toutes, sans exception, au bout de ce boyau.

Alors, tenace, j’ai continué à avancer. Avec cette idée fixe en tête : aller vers la lumière.

J’ai passé une tête. Une épaule, puis l’autre. Et enfin, mon corps entier s’est abandonné dans cette nouvelle réalité.

 

Il y faisait beaucoup plus froid que dans ma première demeure. Les sons étaient fracassants. La lumière aveuglante.

Je frissonnai.

Puis, je réalisai les cris.

De joie.

L’homme et la femme m’ont pris dans leurs bras, tellement heureux de me voir arriver.

J’en aurais presque pleuré.

J’ai d’ailleurs pleuré. Mais si peu.

Parce que, moi aussi, j’étais heureux.

Epuisé, mais tellement heureux.

Je pouvais enfin les rencontrer en chair et en os, ceux que j’avais choisi.

J’avais surtout réussi la première étape d’un chemin que j’espérais fécond.

Mais ce voyage avait épuisé toute mon énergie.

Je devais reprendre des forces.

Dès que j’ai pu, je me suis sustenté copieusement. Je devais récupérer après cette première épreuve. C’était indispensable pour continuer l’aventure.

Au loin, j’entendais le « boumboum » rassurant qui avait bercé mon premier séjour.

Epuisé, rassasié, heureux, je me suis endormi à même la table dans un sourire.

 

Je me suis réveillé bien plus tard.

J’avais été déplacé durant mon sommeil.

Il faisait nuit et seules quelques veilleuses me permettaient de me repérer.

J’étais couché dans un lit confortable aux côtés d’autres camarades, eux aussi nouvellement exilés.

Je me tournai vers l’un d’eux qui me jeta un regard plein de noirceur.

S’était-il lui aussi préparé comme moi au départ ?

J’en doutai.

Peut-être même n’avait-il pas demandé à venir.

Je ne lui ai pas posé la question, freiné par son expression agressive.

D’autres, comme moi, étaient heureux et certains, enfin, restaient impassibles.

Je voulus me lever pour les rejoindre, mais je m’aperçus que les déplacements m’étaient impossibles avec mon nouveau scaphandre.

Et évidemment, je n’avais pas de notice.

Je me tournai vers mes camarades et constatai qu’ils avaient les mêmes difficultés que moi. Je réalisai soudain qu’il me faudrait plus de temps que je ne l’escomptais pour interagir dans ce nouveau monde.

Beaucoup plus.

Mais du temps, finalement, j’en avais.

N’étais-je pas là pour apprendre ?

Chaque minute passée en exil me serait précieuse.

Chaque instant était déjà si étrange.

Tellement loin de mon ordinaire.

 

Le lendemain, je constatai avec surprise que mes camarades avaient changé de regard.

Un regard vide.

Le regard de ceux qui ont oublié.

J’ai voulu leur rappeler, mais ils ne me comprenaient plus.

Ils ne savaient plus.

Mémoire effacée.

Je ne saisissait pas pourquoi.

Que leur était-il arrivé ?

Et puis, je songeai que l’oubli était un merveilleux cadeau.

Celui qui leur permettrait d’interagir sans contrainte.

D’être dans le vrai de leur âme.

Et surtout de faire disparaître la nostalgie de la Mère Patrie.

Oublier, pour ne pas avoir la tentation d’abandonner l’expérience.

Pour ne pas avoir la tentation de retourner auprès des siens avant la fin.

Oublier pour être soi-même.

Je me mis à les envier.

Pourquoi, moi, n’avais-je pas pu boire au fleuve Léthé ?

Pourquoi, gardais-je les souvenirs ?

Pourquoi moi ?

Cette interrogation, je l’ai conservée tout au long de ma vie.

 

Pourquoi moi ?

Pourquoi devais-je être si différent.

Pourquoi si cela devait me faire connaître le rejet ?

Car ce qui n’est pas semblable est rejeté.

Ce qui est autre, quelle que soit cette différence, est perçu comme un danger.

La dissemblance ne va-t-elle pas remettre en questions les préceptes et les dogmes rassurants ?

Et derrière les moqueries, c’est toujours la peur qui prédomine.

La peur de cet autre qui peut faire basculer ce qui a toujours été.

 

J’ai vite appris le rejet.

J’ai vite appris à tromper. A être ce que je n’étais pas pour pouvoir gagner ce qui me semblait essentiel : avoir des amis et des camarades. Etre accepté dans le groupe.

Je me faisais idiot pour ne pas apparaître idiot aux yeux des idiots.

Mais je ne pouvais rien leur reprocher.

Comment en vouloir à celui qui a oublié ce qu’est la Vie ?

Comment en vouloir à celui qui en toute bonne foi est persuadé de savoir ?

Je n’avais rien à dire.

Je n’avais pas à juger.

Seulement avancer en faisant le moins de vagues possibles.

Et me fondre dans la masse.

Me faire oublier.

Pour mieux observer.

Pour mieux apprendre.

Avec cette déchirure du cœur de celui qui sait et ne peut pas partager.

J’en ai pleuré. Bien des fois.

Le chemin était difficile. Surtout au début.

L’existence est si compliquée lorsqu’on est décalé.

Et puis, j’ai grandi. Un peu.

J’ai commencé à chercher mes semblables.

J’ai d’abord cru que je les trouverais dans les lieux de foi.

Quand on a la foi, on doit forcément savoir. Se souvenir. Reconstruire le lien.

Cela me semblait évident. Pourtant, là comme ailleurs, j’y ai plus souvent rencontré la peur que la confiance.

J’y ai plus souvent vu les cloisonnements que l’ouverture au monde.

J’ai frissonné et mon être s’est déchiré.

Si je n’avais pas eu aussi peur d’être rejeté, j’aurais hurlé :

« Ne réalisez-vous pas que savoir cet Etre Suprême, que vous vénérez, à vos côtés vous offre la liberté la plus complète qu’il vous soit possible d’espérer ? Ne comprenez-vous pas que cette Présence est libératrice ? Qu’elle est celle qui vous permet de faire face à toutes vos terreurs ? ».

L’évidence face au néant.

Le mur en face de moi.

Envie de crier. De bousculer.

Puis le cœur en larmes.

Envie de dorloter. De rassurer.

« Je voudrais tellement partager avec vous ce que je sais et ce que je ressens. Si vous saviez comme moi. Si vous pouviez vous rappeler. Juste un petit peu. Juste pour un temps ».

Et j’ai ragé.

Pourquoi l’oubli si cela doit engendrer la souffrance ?

Si cela signifie l’enfermement.

Si cela doit transformer les êtres humains en ombre de ce qu’ils pourraient être.

Pourquoi l’oubli si cela doit rendre le monde si dur ?

Pourquoi l’oubli, alors que tout serait si simple avec le souvenir ?

L’épreuve infligée n’est-elle pas insurmontable pour les humains ?

J’y ai cru. Un temps.

J’ai cru que l’être humain ne serait jamais capable d’être ce qu’il était vraiment.

S’exiler pour se perdre ? Quel sens à tout cela ?

Mais moi qui savais, je n’avais finalement jamais rien expérimenté.

Je savais ce qui était.

Je ne pouvais pas me tromper, puisque je connaissais les bons chemins.

J’ai fait semblant d’être semblable. Mais je me suis menti à moi-même et j’ai menti aux autres.

Et puis, j’ai réalisé, enfin, qu’en tout Homme, il restait des bribes.

Cette étincelle qui fait de chacun un être unique.

Avec parfois la volonté assumée d’éteindre la flamme.

Est-ce un choix d’incarner le mal pour faire apparaître le bien chez d’autres citoyens ?

Est-ce simplement l’image même de ce que sont ces gens au plus profond ?

Qui sait ?

Et il y a ceux, si nombreux, tellement épanouis dans le malheur.

De ceux qui ont besoin des ennuis et des problèmes pour se sentir exister. Pour avoir une bonne raison de juger, de se cloîtrer, et surtout de ne pas vivre.

J’en ai tellement vus.

Mais cela ne m’a pas fait oublier les joyaux rencontrés au bord du chemin.

Ces pépites d’or que personne ne voyait.

Des petites perles de bonté. De compassion. D’amour.

Des êtres qui reflétaient avec tant de justesse l’esprit de ma Patrie de départ.

Combien de fois ai-je été touché par eux ? Emu, parfois jusqu’aux larmes, par ces êtres rencontrés au bord du chemin ?

Certains n’étaient pas croyants, ni même bien pensants.

D’autres oui.

Tous remplis d’une foi bariolée et hétéroclite qu’ils habitaient pleinement.

J’ai compris qu’aucune étiquette ne permet de se dire meilleur croyant.

On est. C’est tout !

On sait. C’est tout !

Et c’est cela qui transparaît.

Mais impossible de le transmettre. Jamais.

 

C’est ce que je vous ai toujours appris, mes enfants.

Ce que j’ai toujours voulu vous léguer.

Ce que je voudrais qu’à votre tour vous offriez à vos propres enfants.

Je vous aime tant.

Le bonheur si grand de vous accueillir dans ce monde.

Mon émotion et ma fierté de vous savoir à mes côtés, prêts, vous aussi, à vivre pleinement la grande aventure de l’exil.

La joie de vous faire découvrir les richesses, si grandes, de ce monde et de tous les êtres qui le peuplent.

Ce monde, je l’ai aimé.

Je l’ai fait mien.

Je me suis battu pour lui.

Peut-être y ai-je laissé ma trace. Un peu.

Et lui, en moi, a laissé sa trace. Beaucoup.

Mais je n’ai pas oublié.

Je n’ai rien oublié.

L’appel du retour est si fort. Si grand.

Je vous aime plus que tout, mais maintenant il est temps.

Le temps de la séparation est venu.

Ce scaphandre endommagé par les années ne veut plus me porter.

Laissez-moi m’en aller.

J’ai tellement hâte de retrouver ma Patrie, mes amis, mes mentors et l’Amour.

Laissez-moi partir.

Laissez-moi reprendre ma route.

Et sachez que de là-bas, toujours je vous guiderai. Je vous attendrai.

 

Quant à vous, faites ce que vous avez à faire.

Vivez pleinement la plus grande et la plus belle des aventures.

L’aventure de l’exil et de l’oubli.

L’aventure de la perte et des retrouvailles.

L’aventure de la peur et de la confiance.

L’aventure de la vie.

Jouez.

Expérimentez.

Ratez.

Réessayez.

Mais jamais ne désespérez.

Ayez confiance.

Ne craignez rien, car ce monde n’est pas Le Monde.

Le Monde, le vrai, vous côtoie de si près !

N’ayez pas peur, car cette terre, n’est jamais terre de solitude.

Cachés de vos yeux, des êtres veillent.

Alors, allez-y sereinement !

Croquez la vie à pleines dents !

Vivez pleinement

Jusqu’au dernier souffle.

Car vous menez la plus grande, la plus belle des aventures.

L’aventure de l’exil et de l’oubli.

L’aventure de la vie.

 

 

Alexandra Urfer Jungen



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