L'APPEL DU LARGE
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La Main
Récit d'un exilé
Les Anges-mages
Lulu, la chenille
Michaël
La petite chatte qui voulait tellement mourir
La Main

 

C’était un matin comme tant d’autres, avec son lot de bonheurs et de malheurs, de petits miracles et de catastrophes. C’est ce jour-là, si semblable aux autres, qu’elle apparut, soudainement, sans que personne ne comprenne pourquoi.

 

En un instant, elle avait envahi le globe. Personne n’était épargné. Chacun avait la sienne à ses côté : les Américains, les Européens, les Chinois, les Indiens, les Pygmées, les Esquimaux, les Aborigènes, les Kayapo… Il y en avait partout, toujours proportionnelle à la taille de son humain : une toute petite pour le nourrisson, une immense pour le champion de boxe catégorie poids lourds.

 

En la découvrant, certains crurent tout d’abord à une farce. Puis la voyant bouger, toute seule dans le vide, ils avaient pris peur.

Ne comprenant pas ce qu’elle était, car elle ne se laissait pas autopsier, on pensa à une invasion extra-terrestre et de nombreux spécialistes se perdirent en conjectures en débattant violemment sur cette hypothèse.

 

Tous les médias se penchèrent sur le phénomène, créant une psychose mondiale. Ils montraient l’incapacité des plus grands à comprendre le phénomène et l’angoisse des gouvernements face à ce qu’ils considéraient comme un danger pour les populations.

 

On essaya bien de la tuer, mais elle refusait de mourir. Lorsqu’on faisait mine de l’attaquer, elle disparaissait pour réapparaître en un autre point. Comme si de rien n’était.

 

La Main était là, à côté de chacun.

 

*****

 

Peu à peu, on s’habitua à sa discrète présence et la vie reprit son cours sans que l’on comprenne à quoi rimait cette bizarre apparition. Mais bientôt d’étranges récits se répandirent : la Main ne restait pas toujours impassible.

On racontait qu’un violeur avait été plaqué au sol par sa Main. Qu’un voleur avait reçu la fessée en public après avoir tenté de prendre le sac d’une grand-mère. Qu’un assassin avait été mis en joue avec sa propre arme.

On dut en convenir, la Main ne supportait pas que son humain commette des agressions.

 

C’est ainsi que les guerres en cours s’arrêtèrent d’elles-mêmes, que les mafiosi durent se recycler, que les terroristes furent contraints de déposer les armes.

Pour la première fois de son histoire, l’humanité connut la paix. Il n’y eut plus le moindre conflit. Plus d’arnaques, plus d’attaques, plus de mensonges, plus de coups. Si quelqu’un avait l’idée de s’en prendre à son prochain, l’index de la Main se levait et se balançait de gauche à droite. « Nooonnn ! », disait-il dans son langage muet. La Main veillait à ce que chacun respecte son prochain.

 

Bientôt, les herbes folles, les rouges-gorges, les plantes tropicales, les hippopotames… toutes les espèces végétales et animales se mirent à proliférer, car elles étaient protégées par la Main, impitoyable envers ceux qui ne respectaient pas les richesses de l’environnement.

Finies les graves inégalités : au Nord comme au Sud, les biens durent être partagés équitablement.

La Main était également très pointilleuse en matière de diététique : seuls étaient admis les repas équilibrés, laissant bien des familles désemparées face à ce défi qui leur semblait insurmontable.

 

La Main, on dut en convenir, ne voulait pas que son humain prenne le moindre risque, comme si c’était là son seul objectif. Il fallait manger sainement, boire modérément, dormir suffisamment. Tous les sports extrêmes furent bannis. Les professions dangereuses disparurent. Les drogues, légales ou non, ne purent plus être consommées. La Main détectait même les maladies avant qu’elles ne se déclarent, obligeant avec persuasion son humain à se faire soigner rapidement. Le suicide fut bien entendu impossible et toute maladresse réprimée suffisamment tôt pour éviter le pire.

 

La route devint sûre, bien sûr ! Seuls les transports publics avaient le droit de circuler quotidiennement. Les véhicules privés, eux, ne pouvaient partir que dans le respect d’un tournus précis, engendrant de belles crises de nerfs auprès des amoureux de la route qui voyaient les clés de leur chère décapotable ou de leur gros cube préféré se balancer entre le pouce et l’index de la Main.

 

Le sport devint obligatoire pour tous.

Il fut impossible de rester des heures devant son poste de télévision, car passé un certain délai, parfois au milieu du film, la Main forçait son humain d’une chiquenaude habile à se lever du canapé.

Dès qu’elle se mettait à pianoter fébrilement, on savait qu’il fallait rapidement sauvegarder son travail avant que la Main n’éteigne péremptoirement l’ordinateur.

Lorsque de son index, elle montrait l’horloge, les passionnés de jeux vidéo savaient que la partie était terminée sous peine de se voir arracher leur console.

 

Bientôt, les statisticiens le confirmèrent : le taux de mortalité était au plus bas, la mort n’emportant que des personnes très âgées. Quant au taux de natalité, son niveau diminua drastiquement : pas que la Main empêcha les galipettes, mais la libido était en chute libre avec cette gênante présence aux côtés des amoureux transis.

 

Les météorologues étaient perplexes : le climat semblait s’être détraqué. Plus le moindre ouragan, ni de tornades. Finis les orages de grêle et les tempêtes violentes. Seule persistait une petite pluie fine qui arrosait régulièrement les paysages avant le retour du soleil.

 

Les vulcanologues et les spécialistes de la tectonique des plaques se retrouvèrent au chômage technique, car il n’y eut plus ni éruptions volcaniques, ni séismes.

Terminés aussi les incendies de forêt, les avalanches et les inondations. 


La Terre était devenue un monde parfait.

 

*****

 

Il n’y eut plus que des bonnes nouvelles dans les médias. Et chacun appréciait qu’il n’y ait plus ni guerres, ni graves maladies, ni événements dramatiques.

On réalisa bientôt que l’apparition de la Main avait obligé l’être humain à être meilleur et à trouver le bonheur… de force…

 

Mais peu d’hommes et de femmes étaient vraiment heureux dans ce monde où l’on était assuré de passer une longue vie sans catastrophes, sans accidents, sans risques.

 

Des clubs du souvenir ouvrirent leurs portes un peu partout sur la planète. Des lieux où l’on se rappelait le bon vieux temps des beuveries, des bouffes ignobles, des journées entières passées à « larver » devant le petit écran, des balades à flanc de ravin… Et on se mettait à rêver de pouvoir à nouveau risquer sa vie en toute liberté.

 

Les grand-mères racontaient à leurs petits-enfants les soirées du temps d’avant passées à la lueur des bougies pendant des orages mémorables. « C’est quoi les éclairs ? C’est quoi le tonnerre ? », demandaient les enfants. Et ils se mettaient à rêver de cette lumière blanche, irréelle, qui striait le ciel et à ce bruit infernal qui faisait trembler les murs.

 

Certains expliquaient aussi le saut dans le vide depuis un pont, la vitesse impressionnante sur un circuit de course, les descentes en rafting… Ils disaient la peur et la dose d’adrénaline. Et ils rêvaient de sentir à nouveau leur cœur battre la chamade et leurs cheveux se dresser sur la tête.
 

On se rappelait la tristesse de perdre un être cher, l’amour gratuit de ceux qui vous entourent dans les temps difficiles, la colère face à l’injustice, la joie de réussir par ses propres moyens… Tous ces sentiments forts qui n’existaient désormais que sous une forme diluée.

 

On disait la beauté magique et la force imposante des éléments déchaînés…

Et on s’avoua enfin que l’on avait été trop loin, beaucoup trop loin au temps d’avant. Tant de morts et de vies brisées auraient pu être évités si on avait été attentif à ses voisins, si on n’avait pas joué aux apprentis sorciers, si l’argent et le pouvoir n’avaient pas été le moteur du monde… Si…

Et si l’on avait été moins égoïste, est-ce que la Main serait apparue ?

 

*****

 

Peu à peu, Le Syndrome fit son apparition. Des gens, de plus en plus nombreux faisaient des crises. Ils hurlaient et gesticulaient de manière désordonnée en invectivant leur Main.

-          J’en ai marre !

-          Laisse-moi vivre !

-          Rends-moi ma liberté !

disaient-ils à la Main dressée dans un signe d’apaisement.

-          T’es pas mon père !

-          T’es pas ma mère !

crachaient-ils parfois. Et invariablement, l’index se penchait et se levait d’avant en arrière, comme pour contredire son humain.

De grands professeurs affirmèrent péremptoirement que les liens tissés depuis si longtemps avec son humain faisaient penser à la Main qu’elle était devenue un membre à part entière de la famille… Il n’y avait de pas d’autre explication.  

Et Le Syndrome continua à se répandre comme une traînée de poudre. Bientôt une bonne partie de l’humanité ne put supporter la simple vue de la Main. On se mit à chuchoter, à s’envoyer des petits messages discrets, à se parler par sous-entendus… Comme si elle ne pouvait pas comprendre !

Plus ce phénomène se répandait et plus la Main semblait perdre de sa superbe. Elle se voûtait de plus en plus, comme affligée par le mal qui rongeait l’humanité. Certains disaient même qu’elle était triste.

 

*****

 

Et un beau matin, le miracle arriva. La Main avait perdu de sa consistance. Elle devint presque transparente, puis, après un dernier regard jeté à son protégé, elle disparut.  

C’est alors que l’on trouva « Le Message ». Toujours le même, à la virgule près, auprès de chaque humain :

 

" Mes petits

Je ne pouvais pas vous laisser continuer ainsi… Vous étiez si désemparés, si désespérés, si fous… Vous pensiez être seuls responsables du monde. Vous imaginiez tout savoir, mais vous ne compreniez pas tous les rouages. Vous ne pouviez pas réussir. 

En me rendant visible et en répondant à vos vœux de bonheur les plus essentiels, je pensais vous aider. Mais je sais maintenant que ce qui compte vraiment pour vous est de pouvoir vivre pleinement vos propres expériences, quitte à vous tromper de chemin et à souffrir.  

Je vous rends votre liberté. Prenez soin de vous. Je serai toujours là quand vous aurez besoin de moi.
Je vous aime plus que tout.

Celui qui est, qui était et qui sera "





Alexandra Urfer Jungen




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